Alors voilà L’Homme de la chambre 314. Os, poumons, foie, prostate… peu importe : un petit crabe fait sa plage dessus et il s’en va.
Je ne sais pas ce qu’il a été : il ne parle plus, ne fait plus un geste. Il est là où nous l’avons posé. Peut-être qu’il rêve. Espérons.
Anasarque : jargon barbare pour dire qu’il a tellement d’oedèmes que l’eau s’infiltre partout. Dans les poumons, dans l’abdomen, à travers la peau. Voilà L’Homme que la Mort change en éponge. Il déborde comme la rivière sort de son lit. On ne peut pas tenir sa main, elle glisse. Son corps pleut sur les draps : on les change continuellement. Il est une fontaine qui dort et se répand.
Un jour, L’Homme de la 314 a été un enfant. Il est peut-être tombé de vélo et son père l’a remis en selle.
Un jour, il a peut-être : appris l’alphabet, à marcher, à dire “merci”, à demander “pourquoi ?”.
Il a joué à la marelle ou à 1-2-3-Soleil, volé des cerises, fait du vélo -avec puis sans les petites roues-, regardé ces drôles de poils qui nous poussent à l’adolescence, pratiqué l’onanisme, eu un rendez-vous, fait l’amour une première fois en s’émerveillant du corps de l’autre, regardé la chenille s’enfermer dans son cocon pour devenir Mystère…
Comme tous, il a probablement voulu tuer son père pour épouser sa mère. Il a goûté du vin, joué avec le feu, bu du café, fumé une cigarette, joué, sauté, mîs un déguisement, pris le métro, passé son bac, son code, son permis, mangé gras/salé/sucré, dansé, péché et pêché, couru, toussé, pleuré, crié, raté un bus, détesté, souffert, fait souffrir, tordu la queue des pommes pour faire un vœu, voyagé, vu les Pyramides, la Joconde, Saint Pierre de Rome, un Picasso, un Turner, un Pollock, nagé, prié, couru encore, dévoré la tarte encore chaude, eu mal au ventre à cause de la tarte, mis des chaussettes trouées, travaillé, frappé à des portes, tourné des milliers de poignées, acheté une TV, étendu du linge, aimé… Avec de la chance, il a aimé.
Peut-être, même, un jour, a-t-il eu un fils qui est tombé de vélo : il l’a remis en selle comme son père avant lui et le père de son père.
Ecce Homo.
Alors voilà L’Homme de la 314. Je veux dire : voilà VRAIMENT L’Homme de la 314.
Et nous ne lui sommes pas différents. Pas plus que la pomme sur la branche l’est de la pomme voisine qui vient de tomber.
ÊLLÃM ÖNRU : phrase en Tamoul signifiant littéralement : “Tout est Un”.
ECCE HOMO : phrase latine signifiant littéralement : “Voilà l’Homme”.
(Pour ma grande et belle famille D&T du Connecticut, blessée au cœur, je vous aime. Pour les enfants de Newton qui n’auront ni notre chance ni, paradoxalement, celle que L’Homme de la chambre 314 a pu connaître au cours des folles péripéties de sa vie d’homme.)
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Putain mais faut pas me faire pleurer comme ça un samedi matin en buvant mon café ! J’aime l’humanité avec laquelle tu racontes ces histoires de tous les jours. Merci !
pour moi c’était direct sans les petites roues!
Encore un des plus bel article de ce blog… Tout simplement merci !
L’article est superbe, la photo aussi.
Je viens de découvrir ce blog et de le dévorer en 3 jours (ça aurait pu aller plus vite mais j’ai 2 jeunes enfants à la maison !)
Et cet article m’a profondément touchée.
Une belle manière de voir l’Autre dans tout ce qu’il a été, ce qu’il est et ce qu’il sera.
La meilleure manière pour pouvoir prendre soin de l’Autre comme nous le devons.
Merci de nous faire partager toutes ces anecdoctes, parfois tristes, parfois drôles mais qui nous amènent toujours à réfléchir !
Je relis votre,( zut! c’est soir de déprime, alcool fort, donc je me permet ce que je ne ferais jamais en vrai: je tutoie!) ton blog de-ci, de-là… Merci de remplir une vie d’insignifiances aussi cruciales!! c’est très exactement de tout cela qu’une vie est faite et c’est cela qui la rend aussi captivante… ce blog me fait du bien, régulièrement, il me permet de me reconnecter à l’Humanité (pas le journal hein!!) au sens large, en le lisant je me sens à nouveau partie d’un ensemble constitué d’autre chose que de comptables et de manager: oui, nous sommes tous à différents niveaux, sensibles, fragiles, émotionnables (ça se dit?), énervables, bref: humain et nous vivons, nous souffrons, nous mourrons ainsi va la vie! Mais de temps en temps, se rappeler que c’est le cas pour tout le monde et que tous vivent les mêmes angoisses face à la maladie et à la mort, et que tous peuvent espérer un soulagement, un soutient, un accompagnement… cela rassure et fait du bien! Je suis agent de service mortuaire, accompagner la souffrance des autres, c’est mon quotidien, mais de temps en temps j’aime venir ici et lire des histoires qui me font pleurer (ou rire!) parce que c’est ma thérapie à moi aussi: vivre des émotions pleinement dans un espace/temps où personne n’a rien à me redire. Merci encore de tenir ce blog et des récolter toutes ces histoires qui le peuplent. (désolé pour le procédé hyper original:) ça fait du bien, je veux dire ça fait VRAIMENT du bien!!
Merci à vous Med-O 🙂