Alors voilà Mr. W., 83 ans, sur un banc dans un square, au soleil de 11h. Ça pousse vert sous la neige. C’est le printemps. Pas pour lui : une pointe au cœur, il se couche doucement sur le coté, une voisine appelle le 15.
Le chef masse, l’infirmier perfuse, je ballonne un visage aussi ridéqu’un pruneau. C’est beau une vieille tête, beau et lourd, c’est plein de souvenirs.
Je me dis : ” 83 ans, essayons. S’il meurt, il meurt… Ça devait être là, maintenant, dans ce square. Y a moyen d’être “moins concerné” que pour la gamine de l’autre nuit. Ça va aller, 83 ans… Y a moyen…”
Soudain, un hurlement : une dame se jette à la tête de Papi-Pruneau. Son peignoir, ses bigoudis, ses joues, tout est rose.
Y a moyen de rien : j’ai oublié la famille…
Parfois, les papis ont des filles.
Dame-BonBon se change en petite fille pleurant dans les bras de son papa. La mort a ce genre de pouvoir là.
Je ballonne, j’essaie de ne pas entendre ce qu’elle lui dit, nos épaules se touchent…
Je n’entends pas comment elle le supplie de ne pas la laisser, je n’entends pas qu’elle a peur du monde sans lui, qu’elle ne sait pas quoi faire, qu’elle l’aime, qu’elle est terrifiée par la vie sans lui, qu’elle ne sait pas COMMENT être seule sans son père.
Je n’entends que le ronron de ma main sur le ballon d’insufflation.
Un des bigoudis chute, la tension artérielle de Papi-Pruneau aussi.
Ça va encore me coûter cher en resto, en coups à boire et en billet d’avion pour le Tibet cette histoire là.
Ce soir, je n’oublierai pas d’appeler mon père, je veux dire : ce soir je n’oublierai VRAIMENT pas d’appeler mon père.
(J’avais bien envie de mettre une anecdote drôle, ou qui fait sourire, et puis je me suis dit : la distribution des cadeaux c’est demain et demain, justement, tout le monde ou presque sera en famille, alors dites-leur ce qu’on ne leur dit pas assez… et demain matin, c’est promis, c’est cadeau, je balance un post très drôle, je veux dire : VRAIMENT très drôle…)
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Médecin (depuis maintenant pas mal d’années), je tombe sur votre blog, je ne peux pas m’arrêter de lire et là je tombe sur cette histoire.
Qui m’en rappelle une, il y a 3 mois, sauf que je n’étais pas en rose et que ce n’était pas dans un square.
Et le jeune interne (il avait l’air d’avoir 12 ans) qui est venu a été parfait, absolument parfait.
Il a pensé à la dissection aortique à peu près en même temps que moi, il a expliqué à mon père ce qu’il lui faisait, il a dit à ma mère les quelques mots qu’il pouvait se permettre sans perdre de temps, et quand on est arrivées à l’hôpital un peu après l’ambulance, il nous attendait aux urgences pour nous dire comment la fin était arrivée.
On sait faire tant de choses à 12 ans…
Merci les internes