Photographie sublimissime de Benjamin Isidore Juveneton, Adieu et à demain.
Pourquoi faut-il des étudiants dans les hôpitaux ?
OU :
La vie en son domaine.
(((((À tous les externes qui me lisent : tenez le coup, les petits, ça en vaut vraiment la peine !)))))
Alors voilà une soirée à l’internat, beaucoup d’internes et donc beaucoup d’initiales…
M. revient de vacances :
– J’ai dégotté une recette à Majorque : du sorbet au citron…
– Du sorbet citron ? Et c’est tout ??? demande Y.
– ET DU GIN !!!!! hurle M. en sortant une bouteille de sous son manteau.
Sa recette fait fureur : de toute manière, elle a aussi acheté du Doliprane pour demain matin. Elle est Prévoyance.
J., lui, a une bonne nouvelle à célébrer, il a ramené du champagne. Il est Bonheur.
F., elle, a un chagrin d’amour à écraser. Elle est Tristesse.
Son meilleur ami, O., est venu à l’internat pour la consoler. Il est Amitié.
A. retrouve C., son fiancé. Elle ne l’a pas vu depuis deux semaines et il a débarqué sans prévenir. Elle lui saute au cou. Elle est Joie.
Un infirmier du bloc, H., fait une entrée discrète. Lui et D. s’aiment bien (je ne vous fais pas de dessins, vous aurez compris). Ils sont Timidité.
T. a quelque chose qui la démange dans le bas-ventre. Elle ramènera donc O. dans sa chambre. Elle est Désir.
J. supporte mal le champagne : il ne reprendra pas la voiture. Y. lui propose gentiment de rester dormir dans sa chambre : “Je te préviens : toi et moi, dans le même lit, il ne se passera RIEN ! Je te le PROMETS !” assure-t-il en commettant un mensonge.
J. et Y. sont deux garçons qui… Bref, ils sont Gaieté.
L. traîne un peu trop longtemps sur le canapé, avec F.
“Un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout”, “On y va, on y va pas…” Ils sont Hésitation.
Vous perdez-vous dans les initiales ? Dans les noms communs ? C’est normal. Cette soirée-là, tout le monde s’est perdu dans les chambres. L’alphabet entier s’est mélangé. On a joué au Scrabble en poussant jetons sur jetons, mots d’amour comptent triple, petits soupirs et longs gémissements. Avec des Z, des W et beaucoup de X.
Le lendemain, les internes étaient fatigués, mais ils avaient un sourire idiot flottant sur les lèvres.
Ce sourire niais, je le prends pour quelque chose d’infiniment précieux. Il me rappelle une vérité essentielle : les murs de l’hôpital n’appartiennent pas qu’à la Maladie, la Mort, la Douleur, l’Odeur de pisse froide et d’antiseptique. Il y a aussi la Vie. Elle bouillonne, elle court, elle est folle, elle DÉBORDE TOUT et rien ne peut lutter contre elle. Elle est là, à l’hôpital, en son domaine.
Voilà -vraiment- pourquoi il faudra toujours des Étudiants dans les hôpitaux.