Archives mensuelles : août 2014

10 mégots de vocation, de tabac, et de tendresse.

Alors voilà.
Le type fait deux mètres il entre dans ton bureau et te plaque contre le mur…
Je sais ce que vous vous dites : “ça commence plutôt bien, genre film porno des années 70.”
Ben non, désolé…
Parce que le type en question, voyez-vous, il t’oblige à lui rédiger une ordonnance de morphinique “tu le fais ou je te défonce la gueule !”.
[…]
Toi, tu essaies de discuter, d’être posé et à l’écoute. Mais non. Il veut tout. Tout de suite. Il arme son poing en arrière, frappe, à côté de ta tête et te dit qu’il va te “démonter la gueule”. Alors tu t’assoies en tremblant, tu prends une ordonnance sécurisée et tu fais la prescription de produits stupéfiants. Parce que tu mesures 1 m 76, pèses 66 kg et que lorsque tu étais enfant, personne ne te voulait dans son équipe de foot tellement tu étais gringalet et nul en sport (vous savez le gamin qui reste sur le côté avec ses bouquins dans les films américains ? C’était moi ! Désolé, c’était la minute “Rémi sans famille” ou “Vivre dans un donjon avec la pneumonie”. Triste histoire, mais histoire vraie !)
[…]
Tu as peur. Quelque chose d’animal, de primaire. Tu lui dis : “Ce que vous faites est grave. À l’instant où vous passerez cette porte, j’appellerai la police.”
Il te dit : “Finis l’ordonnance et ferme ta gueule !”.
(Vaut mieux : j’ai envie de vomir.)
[…]
Soupir.
“Je suis à peu près sûr, maintenant, qu’il n’a pas de carte vitale et qu’il partira sans payer…” ((((((cette dernière phrase est une blague, hein, je précise…)))))
[…]
Les patients en salle d’attente, quand ils te voient sortir tremblant et complètement choqué du bureau dix minutes après : “On a vu le monsieur nous passer devant, entrer dans le bureau, on a entendu des coups et crier et on s’est demandé si on devait prévenir la police…”
[…]
Ben oui bande de sombres cons, vous auriez dû. Après tout, ça ne se fait pas de passer devant tout le monde !
[…]
(Avec le recul je comprends. C’est une chose irréelle une agression, qui excède les petits murs étroits et abrutissants de nos quotidiens. Alors on n’y croit pas quand cela arrive.
Comment se dire “Tiens ! Et si je lisais tranquilou le Gala du 13 juillet 1976 dans la salle d’attente de mon gentil docteur qui se fait déglinguer juste à côté !… Ça alors ! Les Beatles se séparent et Freddy Mercury est gay !…” ?????
[…]
Tu vas au commissariat : “On l’a chopé, il est bien connu des services. Malheureusement, on ne devrait pas pouvoir le garder plus de 24 h. Il avait votre ordonnance sur lui et un couteau. Vous avez bien fait. Il était énervé contre vous et il a dit qu’il reviendrait mais ne vous inquiétez pas s’il vous arrive quoi que ce soit dans les prochains jours on saura à qui s’adresser. ”
Ah merci bien, inspecteur Harry, je suis rassuré.
[…]
Une précision : du début à la fin, les services de police ont été géniaux. À l’écoute, clairs, organisés, rassurants. Je sais qu’on les déteste parce qu’ils nous arrêtent sur le bas côté des routes pour nous taxer 90 € de dépassement de vitesse… Mais cela reste une force démocratique et de paix. Indiscutablement. Ils protègent.
[…]
Au commissariat : “Vous voulez porter plainte ?”
Attention, les amis, c’est LE moment de LA minute “Victor-Hugo-cul-cul-débile” dans ma tête : je pense à

LA SUITE LA SEMAINE PROCHAINE !
(Bruits de tambour comme dans les films à suspense.)

((((( JE VOUS PRÉVIENS, IL N’Y AURA TOUJOURS PAS DE SCÈNE PORNO, ET AUTANT VOUS LE DIRE TOUT DE SUITE : LE GRAND MONSIEUR MENAÇANT NE PAIERA PAS SA CONSULTATION.)))))

Je suis en vie, je vous kiffe,

Baptiste Beaulieu

L’homme qui va avec le soleil.

Pour J. un de mes anciens (jeune) patients, croisé par hasard dans le métro.

Alors voilà, c’est la guerre.
D’un côté, Jean-Presque-Enfant, 24 ans, étudiant, amoureux, rieur et un peu fêtard. Il aime les balades en vélo, les oréos coupés en deux et les séries B. Pas vraiment un guerrier né.
De l’autre, toute une armée de petits crabes dégueulasses. Pas des Huns, des Wisigoths ou des Vikings, non. Bien plus barbares ! Des Lilliputiens ridicules, coiffés de casques en os. Leurs pinces sales résonnent de cliquetis inquiétants. Très bruyants. Aucun état d’âme.
Pour Jean-Presque-Enfant, ce sont des jours bien sombres qu’annonce cette armée miniature.
Ils ont frappé les premiers, là où ça fait mal : le testicule. BLÂM ! Droit dans les parties. Pas très fair-play, me direz-vous, mais à la guerre comme à la guerre.
Ils se sont avancés, horde sauvage, désordonnée et chitineuse. Ils ont dit : “Ola, Jean-Presque-Enfant ! On prend la bourse. Dans quelques mois, on prendra la vie”.
La pauvre gamin n’a pas eu le choix. Il a dû ranger ses livres de cours, remettre ses sorties à plus tard, affûter ses armes et recruter des mercenaires : “Oncologuatrix”, “Chimiothérapeutus”, “Infimierator” qu’ils s’appellent.
– Je suis trop jeune, a dit Jean-Presque-Enfant.
– Va falloir grandir vite, a répondu gravement Oncologuatrix, pas toujours très subtil.
La bataille a été sanglante. Pas de quartiers. Enfin presque : il a fallu trancher dans le vif. La machine à bébés ? Aux oubliettes. Remplacée par une jolie prothèse en forme de haricot. Belle illusion. De toute manière, les futurs petits Jeans dorment bien au frais dans un joli cocon réfrigéré.
Entre le Jean et le Prince des Crabes ? Ce fut un combat à mort. Aucun ne voulait lâcher l’affaire.
Un jour, devant moi, Jean s’est exclamé :
– Mais ce n’est qu’une paire de couilles, après tout ! Qu’est-ce que ça peut bien leur foutre ???
Bonne question… Qu’est-ce qu’il peut bien en faire, le Prince des Crabes et ses cellules terroristes ? Un testicule ! Pensez-donc !
Un vrai pilleur d’organes. Une charogne.
Les matins ont succédé aux matins. Le jeune homme devenu grand soldat a vomi plus souvent qu’à son tour. Son corps ! Des tranchées, des sillons dans la neige grêlés par les batailles… L’homme a maigri, s’est endurci le cuir. Il a hurlé bien fort qu’il ne céderait pas un pouce de terrain à la petite armée en carapaces.
– Je vais mourir. Mais vieux. Et j’aurai fait des bébés à Lise. Même que j’aurai 20 petits-enfants très turbulents. Même que je veux pouvoir leur dire “Les enfants ! Arrêtez de me les briser !” Même que je veux leur dire ça.
Finalement, un jour, l’équipe a gagné. Jean est monté en haut d’une montagne immense, il a arraché la victoire finale, un drapeau rond et lumineux.
[…]
Maintenant, l’homme se promène parmi les gens dans le métro. Peut-être parmi vous… Peut-être même qu’il est assis sur le siège en face. Vous l’ignorez, mais c’est un immense chef d’armée. Lui, incognito, il sourit, il prend l’escalator, débouche en pleine lumière, parmi les vivants. Il pousserait bien un cri de guerre victorieux, mais les gens ne comprendraient pas, alors il laisse un large sourire s’épanouir sur son visage. Le soleil est là, en haut des escaliers, l’homme marche avec lui.

Malgré tant d’épreuves, mon âge avancé et la grandeur de mon âme me font juger que tout est bien.
Oedipe, Sophocle

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Une bise à tous.

La femme qui avait un “S” sur la poitrine (Ou, plus sobrement : Superman est une MERDE.)

Illustration : il m’a proposé et j’ai dit oui à MEDESSIN GRAIN car c’est top.
Allez-y, son site est drolissime, génial, fin. Je préviens que parfois l’humour est très noir. Mais j’aime.

Alors voilà Superman.
Né sur la lointaine planète Krypton, c’est LE Surhomme par excellence : épiderme invulnérable, super-force, super-souffle, super-ouïe, super-vue (zoom, rayons X et lasers), vol et super-intelligence.

Et voilà Germaine Job, chambre 7, 92 ans, plus toutes ses dents, plus trop de cheveux.
Des bandages entourent la peau de ses bras et de ses jambes.
Elle s’allonge seulement sur le côté gauche : trop faible pour se tourner sur le droit. Germaine Job est aussi molle qu’un torchon mouillé.
Elle n’entend plus rien et ne voit plus rien : cécité bilatérale. Le diabète a fait des dégâts.
Je ne sais pas si elle sait voler à Mach 3, mais j’en doute : en tombant de sa simple hauteur, elle s’est brisé le col du fémur.
Quand on lui demande en quelle année nous sommes, Germaine Job répond 1971. J’ai vérifié : nous sommes en 2014. Et le président n’est pas Pompidou.
L’autre jour, sa famille lui a offert un peignoir Superman bon marché, rouge et bleu, avec un S jaune en travers de la poitrine.
L’infirmière me dit :
– Tu as l’air dans la lune, Baptiste.
Je pense : “Être Superman est facile, il suffit de naître extraterrestre.”
Et je dis :
– Être humain et vieillir, ça, c’est bien plus héroïque.
– Plus héroïque que quoi ?
Je souris, je pense au super-héros.
Bibi dénonce : ” Superman est une MERDE.”
((((( Tiens, prends ça dans les dents, kryptonien de mes c…)))))
Maintenant, quand je ne regarde pas les dessins animés le dimanche matin en buvant du chocolat chaud (faudrait être fou pour avouer adorer regarder les comics de France 3 du dimanche matin à 9 heures, alors qu’on a 29 ans et qu’on est médecin), je ne vous dirai pas que je substitue le visage de madame J. Ça me fait drôle : un mec tout costaud en collant (genre canapé en cuir qui marche) volant dans les airs avec un vieux visage de pomme tout ridé (ceci dans l’optique où je regarderais les dessins animés, mais ce n’est pas le cas, nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas ?…)

Superman devrait porter un J sur la poitrine. Le J de Job.
Ou un H, oui, vraiment un H. Comme Humain.

Tu me demandes pourquoi j’ai envie de mourir ? Parce que quelque part il y a un arbre qui a mis 20 ans à pousser et servira à fabriquer les pages du livre de Nabila. Voilà pourquoi.

(aucun rapport avec l’histoire, mais j’ai trouvé ça drôle. Ou beau.)

P. S. : merci pour vos messages/cadeaux d’anniversaire, merci tout spécial à Claudie, Marie-Claire, Catherine A. (géniale Catherine A.) Sigmundt, Elle, Marthe L., Marinette, Sophie E., Thomas, Marie, Odile et tous les nombreux autres…
Le bouquin “Alors Voilà” vient d’être traduit en Corée, l’éditeur coréen m’a appelé hier : le livre fait un carton là-bas. Ils ont changé le titre du roman, et c’est quelque chose du genre : “Ma patiente va (peut-être ?) mourir, mais je la ferais rire avant !”
J’adore les différences culturelles. Et je vous mets une photo de la couverture coréenne. Parce que ce blog est une vraie aventure, pour moi et pour tout ceux qui le suivent depuis le début ! Prenez soin de vous et mangez 5 fruits et légumes par jour.

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Une famille.

Alors voilà, visite à domicile, j’entre : petit appartement, un buffet, des tapisseries, une photo du pape. Au milieu du salon, un lit médicalisé.
Une dame dort au milieu.
Elle est paisible entre les draps.
Moi, je trouve que ça sent un peu trop le déodorant d’ambiance, et je sais la vérité de cette odeur : quelqu’un veut camoufler la mort qui arrive en raclant les murs.
D’ailleurs, dans mon imaginaire, je ne peux plus sentir un déodorant pour toilettes sans avoir le ventre qui se tord et l’idée absurde que quelqu’un va mourir (le pire ? Air Wick “Pins des montagnes”. Il me fout des plaques rouges sur tout le corps celui-là…).
La patiente est avec ses deux sœurs et son petit frère. Ils l’accompagnent et se relaient. Ils viennent chacun des quatre coins de la France. Soins palliatifs à domicile. Il y a des pansements, des flacons, des médicaments partout.
Je prends la tension artérielle, je demande où elle a mal et si les traitements la soulagent. J’ai l’impression d’être inutile… Pendant 20 minutes et pour la somme de 33€ je suis le Don Quichotte de ce moulin à vent.
La fratrie s’occupe de sa sœur et s’en occupera jusqu’au bout.
On m’explique que la sœur malade ne voulait rien dire à personne au début , mais quand elle a été trop fatiguée, ça n’a plus été possible, ils ont bien compris qu’il y avait quelque chose de grave.
C’était la maison ou un centre de soins palliatifs.
Moi, je “subis” les photos.
Car les photos sont partout.
Enfants, vacances, école… De vieux clichés de famille.
L’aînée triture le cordon de sa robe de chambre, puis le resserre.
– On découvre, dit-elle.
(Je comprends qu’elle parle de la mort.)
– C’est important.
(Je comprends qu’elle parle de la mort de sa sœur.)
Sa main est agitée d’un petit mouvement concentrique, nerveux.
– Je mets les pansements là et là, je nettoie comme ça, je change la poche tous les deux jours. Est-ce que c’est bien, docteur ?
(Je comprends qu’elle parle d’amour.)

Ce jour-là, je suis sorti de chez eux, il pleuvait. J’ai gagné l’abri d’un porche, j’ai attrapé un téléphone et j’ai appelé mon père. On a parlé de tout et de rien. Ensuite, j’ai appelé mes deux grandes sœurs. L’une était inquiète pour son fils qui tousse, l’autre était inquiète pour sa fille qui a du mal à apprendre son alphabet. Du coup, je me suis retrouvé inquiet pour mon neveu et ma nièce. Enfin, j’ai appelé ma mère. Elle était inquiète pour tout le monde, comme d’habitude.

Je crois que j’ai de la chance.

(((((((( P.S. : si la première lecture vous paraît trop triste, remplacez le mot “mort” par le mot “gastro-entérite”. Voilà. )))))

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À bientôt et bonne journée !
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Baptiste Beaulieu.