Message reçu d’une collègue. Je n’ai touché à rien. Ou presque (J’ai laissé volontairement les fautes). C’est pour cela que j’écris ce blog : je vous alpague avec des histoires de vibromasseurs pour mieux pouvoir vous livrer le genre de témoignage qui suit. Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! (*rires diaboliques*). Sì vous souhaitez raconter, c’est ICI !
Témoignage :
“Je me permet de t’écrire ce matin, nuit difficile.
[…]
Je suis un peu perdue et j’ai besoin d’une oreille avertie, si possible connaissant le milieu médical, et qui aura assez d’humanité pour comprendre ce que je ressens ce matin.
[…]
Je suis une petite interne, actuellement en stage dans un hôpital “général”.
Garde aux urgences, cette nuit. Le service ne désemplit pas, les entrées se succèdent, l’attente est longue.
Enfin, vers 2h, le rythme s’apaise. Je suis seule avec l’équipe soignante, je ne dis pas non à une petite pause.
Une infirmière m’appelle dans les étages.
Une de ses patiente est très douloureuse, elle souhaite que je vienne jeter un coup d’œil. Je monte vite fait, j’arpente les couloirs déserts, j’aime ce calme.
J’arrive dans le service. Prend rapidement connaissance du dossier de Mme C.
Pas joli-joli.
Mme C, a 40 ans, un mari, deux garçons de 12 et 15 ans.
Et Mme C n’a pas vraiment tiré le gros lot à la grande loterie de la vie.
Elle affronte depuis des années un vilain crabe, genre costaud, un multirécidiviste, qui a repoussé sans faillir les assauts de multiples chimiothérapies. Il a même eu l’audace de disséminer ses petits un peu partout. Le corps de Mme C est un champs de bataille, infiltré par l’ennemi.
Mme C est hospitalisée depuis quelques jours, cela devenait trop difficile à la maison, trop de douleurs, trop de lassitude.
Je rentre dans la chambre. Je la vois, toute frêle sous les draps. Son visage est cireux, crispé dans une grimace de douleur.
Je m’approche d’elle, lui parle, pas de réponse.
Seulement des gémissements, encore et toujours, comme une litanie.
Sa respiration est difficile, bruyante, forcée.
Je prends sa main. Elle a de toutes petites mains, des mains de petite fille, soignées.
Je regarde ses mains et pense à tout ce qu’elles ont fait : construit des châteaux de sable et de cartes, étreint, caressé, bercé ses enfants.
Autour de nous, le service fonctionne en sourdine: bips lointains des perfusions, ronflements, une télévision un peu plus loin.
Je reste plusieurs minutes, au chevet de Mme C. à lui tenir la main, […]. Je suis tétanisée, au bord du gouffre.
A ce moment, je ne sais pas pourquoi, mais l’image qui me vient en tête est celle du naufrage du Titanic. Les musiciens du paquebot qui continuent à jouer alors que tout est perdu.
J’imagine les organes de Mme C, qui s’éteignent une dernière fois, prêts à subir l’assaut final du crabe, et qui continuent de faire travailler ce corps pour les derniers instants. Ils jouent leur dernière mélodie.
Je ne veux pas que cette dernière mélodie soit une plainte, une souffrance.
Je retourne consulter le dossier avec l’infirmière, qui découvre la patiente en même temps que moi.
Aucune indication sur la démarche à suivre dans ce cas. Nous sommes seules toutes les deux dans cet hôpital peuplé de centaines d’êtres vivants, perdues, et nous devons prendre une décision tellement lourde !
C’est la première fois que je suis confrontée à ce cas (oui, j’ai toujours eu des gardes tranquilles sans vraie urgence !)
Pas de sénior disponible, évidement, ils dorment et ne veulent pas être réveillés.
De nouveaux, ces gémissements insupportables.
Je prends ma décision, soulager ses douleurs avant tout.
Le cocktail classique Morphine-Hypnovel.
Le liquide s’écoule lentement dans les veines de Mme C.
Enfin, au bout de longues minutes, son visage s’apaise.
Nous appelons sa famille, sa maman et son frère, qui sont ses personnes de confiance.
Ils arrivent rapidement sur les lieux.
Leur détresse est palpable, tellement émouvante.
Nous discutons longuement, ils acceptent et comprennent ma décision.
“Faites qu’elle ne souffre pas, je vous en supplie…”
Ils parlent déjà d’elle au passé, dans cette chambre, je suis mal à l’aise. Mme C les entend-t-elle ?
[…]
Mme C est partie chevaucher les arc-en-ciel sur son poney multicolore, au petit matin, dans son sommeil, apaisée par le traitement, entourée des siens.
Apaisée, vraiment ? Ce matin, je suis en plein tourment. Ai-je pris la bonne décision ?
J’ai laissé cette jeune patiente mourir, sans même essayer quoi que ce soit.
Mme C, que voulait-elle vraiment ?
J’ai laissé partir sans lutter une fille, une sœur, une épouse, une maman, une amie…
Avait-elle des désirs qui ne pourront pas être exaucés par ma faute ?
Mon esprit est vide et les images de cette nuit me reviennent en boucle.
Je suis perdue.
Toutes ces années d’études ne m’avaient vraiment pas préparée à ça, je veux dire vraiment pas.
J’espère juste, que Mme C, sur son poney, pourra comprendre et me pardonner.
Voila Baptiste, désolée pour ce pavé, je suis désolée de déposer ainsi lâchement une partie de ce fardeau sur toi, (ce qui n’est pas mon intention à la base, comprenons-nous bien, je ne souhaite pas me dédouaner !) j’ai besoin de parler ce matin, à chaud. Je n’ai pas voulu m’épancher sur le sujet avec mon chef ce matin, la dernière chose dont j’avais envie, était de recevoir en consolation des phrases toutes faites que les médecins aiment bien sortir dans ces moments-là.
Ce matin, je souhaite juste savoir, que quelque part en France, il y a un médecin qui connait mon histoire et, peut-être la comprend.
Je te souhaite un bon week-end.
Et surtout, continue avec toutes ces histoires, n’arrête jamais! ”
Voilà. C’est cela qui se passe la nuit dans les hôpitaux…