L’histoire c’est F., l’écriture c’est moi. Merci F. Si vous voulez raconter, c’est ici !
Alors voilà, son copain la battait, elle s’est enfuie. Elle l’aimait encore. Mais elle est partie. Sauver sa peau. Elle l’aime, il la frappe, elle l’aime encore. Elle sait que l’amour ce n’est pas ça, mais on décide de rien. Elle change de ville, change de département, même. Elle se retrouve seule, sans amis, sans famille, sans même un toit pour passer la nuit… La rue, c’est terrible ça… La rue… Elle a tenu bon, tenu debout, un bon bout de temps, debout, tenu, droite, tenu, tenu, tenu, elle serre les dents, puis un jour “crac”, les barrières s’effondrent. Elle fait une bêtise, et si tu changes quelques lettres à “faire une bêtise”, ça fait “essayer de partir voir les poneys multicolores plus tôt que prévu”. Elle a 22 ans, elle est loin de ses proches, et elle se retrouve de longues journées à attendre, les yeux dans le vide, allongée sur le lit d’un hôpital psychiatrique. Coincée dans un autre monde, oui, elle est coincée… Elle connaît le plafond par coeur, chaque tache, chaque aspérité, elle les connaît.
[…]
Ce jour-là s’annonçait pour elle comme les autres : pas envie de manger, pas envie de se laver, pas envie de se lever, pas envie de vivre… Dans le service, un aide-soignant passait dans les chambres pour changer les draps de lit. Vous voyez, rien de très formidable jusqu’ici… sauf que l’aide-soignant faisait tout cela en chantant. En chantant ! Elle ne pourra jamais expliquer ce qui s’est passé à l’instant où il a commencé à chanter “La vie en rose” de Piaf. Pourtant, elle s’est levée… spontanément ! Pour la première fois en deux semaines ! Elle s’est sentie attirée par sa joie, comme l’insecte va vers la flamme. C’était mystérieux, cet abandon joyeux dans ce lieu froid, triste, blanc et vide; tout à coup, c’était comme si le plafond n’avait plus d’importance. Elle s’est levée et elle a marché jusqu’à cet homme sans trop réaliser ce qu’il se passait. Arrivée devant lui, elle s’est sentie bête, elle savait pas quoi dire. L’aide-soignant s’est arrêté en la voyant plantée devant lui comme un piquet.
– Vous pouvez continuer ? S’il vous plaît…
– De quoi ?
– De chanter.
Il a repris avec Piaf, encore, mais “Je ne regrette rien”. Elle, elle l’a suivi jusqu’à ce qu’il ait fini son service, elle l’a suivi comme les enfants perdus la nuit suivent les étoiles, dans les contes. Elle pleurait. Les larmes coulaient sur ses joues, c’était la première fois qu’elle pleurait depuis qu’elle avait dû dire adieu à son ancienne vie. Depuis des mois, c’était la première fois qu’elle ressentait une autre émotion que la peur.
Le lendemain, cet aide-soignant était parti en vacance et elle ne l’a jamais revu. Elle ne connaît pas son nom, et elle regrette de jamais avoir pu lui dire merci… Mais tous les jours, depuis, quand elle doit se lever le matin, elle écoute “Je ne regrette rien” de Piaf. Elle repense à lui, à cette chanson hors du temps. Elle chantonne.
Aujourd’hui, elle me dit qu’elle va mieux. Elle a son propre appartement, elle a retrouvé ses proches et elle a un chat (c’est un détail qui lui tient à coeur).
Ou qu’il soit, son aide-soignant à la peau colorée, elle lui souhaite de ressentir tout le bonheur qu’il a réveillé en elle à l’époque.
Ah, j’oubliais ! En Janvier, elle va commencer une formation. Elle a décidé d’être aide-soignante…