(J’ai à peine retouché. Si vous voulez raconter, c’est ici.)
Alors voilà, je suis infirmière et je travaille dans un des hôpitaux qui a accueilli vendredi soir les blessés. Je travaillais vendredi après-midi d’ailleurs, j’ai passé la relève à ma collègue de nuit et je suis partie de l’hôpital à 21h30. Je ne travaille qu’à quelques minutes des lieux touchés, mais les services de secours et de défense n’étaient pas encore avertis. De plus, j’étais assez pressée de rejoindre mes amis et mon amoureux qui faisaient la fête au chaud dans un appartement… Ils étaient tous ensemble depuis le milieu d’après-midi, alors je rattrape mon retard, je prends une bière, deux bières, trois bières, je papote « et machin il a trouvé du taff ? », ou « et truc ça va avec sa meuf ? »…Là, on a reçu un appel « Je suis à côté du Bataclan, il y a des voitures de police, des camions de pompier partout et des gens me crient de partir, il se passe quoi ? ». Génération smartphone oblige, on ouvre les applis d’info : « Fusillade rue de Charonne ». « C’est où la rue Charonne ? C’est à côté du Bataclan, ça ? ». Bref, on ne comprend pas grand-chose, mais on continue notre vie parce que c’est pas possible ce qu’il se passe. Enfin c’est possible, mais inimaginable. Alors on continue de boire, de rire, de parler de tout et de rien, des trucs idiots qui me paraissent TELLEMENT sans intérêt maintenant. On envoie tous un ou deux textos à nos proches pour qu’ils se rassurent parce que, eux, ils doivent s’inquiéter. Nous on s’inquiète pas trop : aujourd’hui, le temps était superbe, le soleil était au rendez-vous, Paris était magnifique.
Puis l’un d’entre nous met les infos, on ressort nos portables… Je dirais que ça m’a fait comme quand on rêve, et que dans ce rêve s’immisce un sentiment de malaise insidieux, puis d’horreur totale. Je ne parlerai pas de cauchemar, parce que le cauchemar c’est ce que les personnes présentes là-bas ont vécu.
Là, j’ai reçu une notification comme quoi le plan blanc était lancé. Le plan blanc, c’est quand le personnel hospitalier est réquisitionné pour prêter main forte au personnel déjà sur place.
Moi, je n’ai pas été appelée. Je devais travailler ce week-end et ils n’appelaient que les gens en repos.
Je ne me suis pas non plus portée bénévole, je ne me suis pas présentée par moi-même rien que pour voir s’ils avaient besoin de mains en plus. Je réalisais pas encore ce qui se passait, j’avais un peu trop bu, c’était irréel, je ne sais pas, je ne sais plus…
Certains de mes collègues travaillaient aux urgences cette nuit-là et nous ont décrit l’horreur et le capharnaüm organisé qui y régnait. Moi j’étais avec des amis à m’amuser, sans réaliser.
En me réveillant, samedi matin, je tombe sur les réseaux sociaux. Nombre de morts, nombre de blessés, avis de recherche, avis de décès… Je crois que c’est à ce moment là que j’ai pris conscience de l’ampleur des choses. Je veux dire la RÉELLE ampleur des choses.
Puis j’ai été travailler. Dans le métro, je me suis assise en face d’un homme, musulman ou chrétien je ne sais pas et à vrai dire je m’en fous, et on devrait tous s’en foutre, oui. Il avait un chapelet dans les mains, il récitait des prières. En y repensant c’était probablement un chrétien. J’aime à croire qu’il priait pour lui, pour nous tous, mais aussi pour eux, ces pauvres hommes assez insensés pour perpétrer de tels actes. C’est peut-être bête, voire même très con, je le sais mais bon… Au fond de moi, et même si je sais que c’est faux, j’essaye de me convaincre qu’ils ne réalisaient pas ce qu’ils faisaient, pauvres fous.
La mort dans l’âme, j’ai passé les portes de l’hôpital. Si j’avais pu y échapper et prendre mes jambes à mon cou, je l’aurais fait, mais il faut malgré tout que le reste de l’hôpital continue de tourner, soulager celui qui a mal, surveiller celle dont le cœur fatigue, et essayer de calmer le papy qui hurle et déambule à longueur de journée. Et j’avais tout sauf envie de ça, d’entendre des gens se plaindre de leur douleur quand d’autres ont été lâchement assassinés, de courir après des gens déments que leurs démences protègent, et qui n’ont pas conscience de cette barbarie innommable. En lisant ça, tu vas peut-être te dire que je suis une bien mauvaise infirmière pour penser ça, mais je ne pense pas l’être.
On en a pas mal parlé entre collègues, mais on n’a même pas essayé de s’imaginer, ni ce que c’était là-bas, ni ce que c’était chez nous, dans nos locaux. Et puis je suis allée voir mes patients. Et j’en ai encore plus parlé avec eux. Il y a ceux qui ont demandé à avoir la télé pour enfin avoir d’autres infos que ce qu’on leur a raconté sur ce qu’il se passait, ceux qui ont entendu les sirènes hurler toute la nuit, et ceux qui s’excusent d’être là « parce que d’autres auraient bien plus besoin de mon lit et de vos soins ». Et ce samedi là, malgré un service plein, il régnait un silence omniprésent. L’important, pour les patients, ce n’était plus EUX mais les AUTRES, ceux du 13 novembre. Et je les remercie ! Je les remercie de tout cœur ! Non je n’ai pas bâclé mon travail pour autant, j’ai aidé chacun d’eux autant que je l’ai pu, mais je les remercie d’avoir oublié, le temps d’une journée, certains de leurs petits tracas du quotidien qui parfois occupent toutes mes journées. Ce jour-là j’ai eu moi aussi le temps de penser aux autres.
Je suis effondrée, malheureuse et révoltée. Et c’est normal que je le sois, je suis une jeune parisienne qui aime sortir le soir, boire des verres entre amis, faire l’amour avec mon copain, profiter des terrasses, mais surtout, je suis un ÊTRE-HUMAIN.
Mais malgré tout je m’en veux d’avoir ces sentiments. Tellement… Après tout je n’ai pas vécu l’horreur, je n’y étais pas. Je n’ai pas non plus perdu de proche, ni même connu quelqu’un qui s’est retrouvé au milieu de tout ça. Je ne l’ai même pas vécu par le biais de mon travail. Et je m’en veux de ressentir des choses aussi fortes, ça ne me semble pas… légitime ?!?! Alors ce que je vais dire est purement égoïste, mais oui, j’aurai aimé être là-bas, aux urgences. J’aurai pu choisir d’aider ces gens, mais je ne l’ai pas fait. Je suis allée me coucher et je n’arrête pas d’y penser. Je m’en veux de ne pas avoir été là pour ces victimes.
Ce qui va suivre est purement égoïste, mais j’aurai aussi aimé être là-bas pour voir et trouver une légitimité à mes sentiments. Je pleure pour les victimes, les familles, ma ville et mon pays et pourtant je n’ai pas vécu l’horreur, j’ai juste… assisté. Et je n’ai pas le droit de pleurer quelque chose que je n’ai pas vécu, non ? J’ai pas le droit.
Et j’arrête pas de me le répéter…
Pour finir, j’aimerai juste citer ce qu’un patient m’a dit hier. Il est d’origine maghrébine, un prénom qui commence par « Abdel », typé, la barbe fournie. Et il m’a demandé un rasoir, et de la mousse à raser, parce qu’il a peur de subir le regard des gens. Ca m’a fendu le cœur et la seule chose que j’ai pu lui répondre c’est que ce serait triste. Je lui ai juste répondu ça, en essayant tant bien que mal de sourire un peu…
Ce serait triste, qu’il coupe sa barbe à cause de tout ça, non ?
Tu ne liras peut-être même pas ce texte mais merci quand même, ça m’a permis de dire tout ce que j’avais sur le cœur, et j’espère que tu ne me jugeras pas trop mal.
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Pour ceux qui ne me suivent pas sur Facebook ici, je mets en lien un hommage que j’ai écrit pour les victimes. Je vous embrasse très fort.
HOMMAGE