(petit coup de gueule, pardon. Je précise que tous les établissements psychiatriques ne sont pas comme celui-ci, mais que certains le sont. Et c’est intolérable.)
Alors voilà, cela faisait cinq ou six ans que je n’étais pas entré dans un hôpital psychiatrique.Je gare ma voiture. Les nuages sont bas, lourds. J’entre. Murs écaillés, lépreux. Plusieurs portes, sales, couvertes de brûlures de cigarette et de tags obscènes.
De longs couloirs blancs, presque déserts. Une femme erre, par petits pas saccadés, dans une robe de chambre maculée de vomis. Crâne rasé, regard fixe, elle tient dans ses bras une poupée aux cheveux cramés.
L’ami que je viens visiter dort dans une chambre grise, sur un lit métallique gris, dans des draps gris. Il cache son téléphone et son portefeuille dans son slip, sur chaque fesse. Il y a des vols, et les poches des jeans, on te les fait en deux jours, me dit-il.
On sort fumer une clope dans un jardin minuscule, envahi par les ronces et les mégots.
J’ai envie de dire MERDE (pardon). Comment va-t-il aller mieux, mon pote ? Comment chacun des patients ici peut-il aller mieux ? Comment un infirmier ou un aide-soignant arrive-t-il à ne pas se décourager chaque matin, en travaillant dans des conditions pareilles ? Partout où mon regard se pose, c’est sale, triste, suranné. C’est ça, la France ? Si la République a les moyens d’offrir des matchs de foot à 30 000 euros au premier ministre, on devrait trouver des crédits pour nos frères et soeurs souffrant de maladies psychiatriques, non ? Ce sont des êtres humains, avec une dignité, une histoire, une espérance. Ce sont des vies qui comptent…
– À ta première permission je t’emmène à la mer. Ou à la montagne, je lui dis.
Il faudrait qu’on leur donne de quoi peindre, de quoi faire du sport, et de grandes fenêtres ouvertes sur la nature. Ici, tout est moche, petit, gris, sale, tout crie misère. Il faudrait qu’on leur donne un horizon.
J’ai soigné en Inde, au Vietnam, dans des bidonvilles, des orphelinats et dans des dispensaires du bout du si mal nommé tiers-monde. Je n’ai jamais vu un tel délabrement, un tel abandon physique des consciences. Je suis sûr que si des soignants ou des familles de soignés me lisent, ils comprendront ma froide colère.
– Tu sais, dit mon ami, je suis quand même heureux : il y a un chat de gouttière, il se promène dans le jardin. Je me lève le matin et je le câline pendant des heures.
Silence. Un chat, c’est le seul truc doux, ici.
– Ça m’apaise, ajoute-t-il.
– Je comprends.
C’est faux, je comprends pas. Ou alors si, je comprends trop bien : un matou, ça coute pas cher à la sécurité sociale.