Il y a quelque semaines j’ai demandé si certain(e)s d’entre vous aviez déjà été discriminé(e)s à cause de votre poids. J’ai reçu environ 1200 témoignages (avalanche, BIMMMMMMM! dans ma face). Ainsi, le dernier jeudi de chaque mois pendant 4 mois, je publierai un post en rapport avec ça, parce que le monde du soin (et le monde tout court) a un problème avec les “gros(ses)”. Pour témoigner, c’est ici.
Témoignage :
Elle me dit qu’elle a toujours été plus ou moins en surpoids, parfois cela était gérable, parfois non.
En 1997, elle avait 36 ans, elle était enceinte. Sa première grossesse.
Un grand ponte, spécialiste de l’amniocentèse de la clinique de X. à Paris :
“Merci de ne pas bouger. Déjà pour atteindre le liquide amniotique, avec votre masse de graisse, ça ne va pas être simple…”
Voilà. Le ponte était réputé pour son accouchement sans douleur, mais elle n’avait pas accouché, qu’elle avait déjà mal. Les réputations…
Elle me dit qu’elle n’a pas su quoi répondre : elle était enceinte, sensible. Trop. Au monde, aux autres, à son corps en train de changer. Elle en a versé des torrents de larmes.
Aujourd’hui, à 54 ans, elle vit seule.
“Je mesure 1,70 m pour un quintal. L’horreur…” me dit-elle.
Elle a bien réussi à perdre 30 kilos il y a une dizaine d’années, mais elle a tout repris.
Elle me dit qu’elle a un boulot de merde, qu’elle est graphiste indépendante. Son fils est majeur, elle n’a même plus l’obligation de l’amener à l’école. Elle ne marche plus. Stressée par le travail, elle se lève et se met directement à son ordinateur pour 12 heures d’affilée en moyenne. “Une vie de merde quoi…”
Ce poids la handicape, la peur la handicape, le jugement des autres la handicape. “Comment refaire ma vie ?”
On a beau lui dire qu’elle est belle, ce ne sont que des paroles.
Sa vie amoureuse ressemble au désert de Gobi.
Un jour, elle s’inscrit sur un site, rondetjolie.com.
Une cata.
Les hommes inscrits pensent que sortir avec une “grosse” doit être plus simple et qu’elle devrait s’estimer heureuse que quelqu’un daigne s’adresser à elle, voire même “aller plus loin”.
Bête et méchant.
“Et puis c’est se cataloguer, se mettre dans une case, alors que je suis une personne comme une autre…”
Sur adopteunmec.com, elle tombera sur un type. L’air gentil. Ils décident de se voir et de dîner ensemble. Et bien qu’il n’ait parlé que de lui au restau, il lui demande de l’inviter chez elle. Elle, pensant lui plaire, acceptera.
Après un flirt légèrement poussé, il doit partir.
Le lendemain, elle recevra ce texto :
“J’ai passé une super soirée, mais puis-je te dire quelque chose, si tu me promets que l’on restera amis après, parce que je t’adore ?”
Oui, vas-y… dit-elle.
Sa réponse :
“J’ai été trompé sur la marchandise…”
Elle envoie bouler le type, puis pleure une heure durant, non pas parce qu’il y avait des sentiments ou je ne sais quoi, mais parce qu’elle s’est sentie conne, vraiment conne. Pourtant, elle avait bien mis sa taille et son poids sur son profil… Alors ? Culpabilité d’être ce qu’elle est.
“Diabétique, hyper tension, je fais ce que je peux avec ce que j’ai. Pas évident tous les jours. Pour être sincère, je pense que les hommes – dans la plupart des cas et sans faire de généralités – vous diront toujours que ce qui compte, c’est la personnalité, l’âme, le mental… Mais dans la réalité, c’est le physique.”
Elle me dit que, la cinquante passée pour une femme, c’est plus que “casse-gueule”.
Elle n’y croit plus.
Les “tu as un charme fou, tu es sensuelle, gnagnagna”, c’est du vent.
Elle devrait sortir plus, elle sait. S’occuper plus d’elle, elle le sait.
Mais il arrive un moment où l’on ne croit plus en rien.
“Plus rien à foutre de la bêtise crasse de certains hommes.”
En plus de tout cela, me dit-elle, elle s’appelle Aïcha, “genre de prénom à coucher dehors avec le bordel ambiant.”
Mais le moral est là et c’est le principal.
Tenir, c’est déjà tenir bon.