Récit touchant de E., à partager :
Alors voilà, quand j’étais étudiante infirmière en soins palliatifs, on m’a proposé de m’occuper d’une vieille dame de 90 ans passés, dont le diagnostic était « extrêmement chiante », mais les chefs préféraient dire :
« Tu verras, c’est parfait pour les étudiants, les patientes exigeantes ! »
J’aurais dû me méfier…
Le premier jour, elle me dit être ravie, car elle a besoin de quelqu’un pour lui faire telles ou telles commissions (pour ses dessins, par exemple, elle veut un crayon HB taille 2, graphite, noir profond, avec gomme blanche au bout, et manche biodégradable… « ce sera facile à trouver, ma p’tite ! »…).
Moi, je lui fais ses courses, et m’investis dans la relation soignant-soigné.
Pourtant, elle sonne trente fois par jour : le repas n’est pas bien servi, sa tablette mal nettoyée, elle a envie de faire pipi, ou elle n’a pas envie de faire pipi et cela la tracasse… Etc.
À chaque coup de sonnette, on me dit : « C’est ta patiente, va répondre ! ».
J’y vais, donc, j’y vais…
Un soir, je me souviens, nous parlons longtemps de la vie, de la mort, de son cancer… Sa motivation dans la vie, me confie-t-elle, est de laisser une trace, “un petit caillou, ma p’tite, je veux laisser un petit caillou avant de partir !”.
Quelques jours avant la fin de mon stage, la patiente décède. Je me sentais un peu triste, même si elle m’avait bien cassé les pieds !
Je rapporte les blouses à la lingerie, et la semaine d’après je me fais engueuler par la lingère « Ça vous amuse de mettre des cailloux dans votre blouse ? Vous auriez pu bousiller ma machine à laver !!! ”
J’ai souri. Elle avait réussi son coup, ma vieille casse-pied, car ce jour-là j’ai choisi ma voie : je travaille dans un service de soins palliatifs, et je veille à ce que chaque étudiant ait sa « mamie exigeante ».
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(Pour une fois, j’ai voulu mettre une photo de l’infirmière en question (avec son autorisation), pour montrer que les gens derrière mes histoires sont réels, et que dans ce pays où le tissu social se déchire nous sommes tous couturiers, chacun à notre manière. Si vous souhaitez raconter, c’est ICI. À partager…)