(Pour Patiente)
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Aujourd’hui je relaie le témoignage de M., un long texte bouleversant sur la difficulté que traverse les “aidants” (je sais que beaucoup d’entre vous se reconnaîtront. À eux je veux dire : courage).
Alors voilà.
Ça fait bientôt 15 ans…
Un jour de juin 2001, un face-à-face contre un camion. On m’annonce que tu es cassé de partout, fracture ouverte du fémur, contusions pulmonaires gravissimes, trauma crânien et autres… “Préparez-vous au pire, madame”. Je te vois : je ne sais si tu es inconscient parce qu’on t’a sédaté ou parce que tu es trop cassé…
Intubé, ventilé, drains thoraciques, je te parle et te dis que tu vas t’en sortir, qu’on t’attend…
Puis le miracle : tu survis.
Tu te réveilles doucement, et on te retire tes drains, et tu pars en orthopédie.
Mais ce n’est que le début du combat.
On est en juillet, alors l’hôpital ferme ses lits, et on te renvoie à la maison, en fauteuil roulant alors qu’il y a des escaliers partout chez nous, pas de toilettes en rez-de-chaussée. Nous, on n’avait jamais pensé combien des toilettes au rez-de-chaussée seraient importantes dans nos vies, un jour.
Pas d’infirmière, ni de kiné disponibles, pas de place en rééducation fonctionnelle, et personne pour m’aider.
Tu passes ton temps à pleurer….
Alors moi aussi je pleure, je bataille comme une folle pendant 2 jours, et j’arrive enfin à te trouver une place dans un établissement de rééducation, parce que j’ai la chance d’avoir eu au téléphone une personne compréhensive.
S’ensuivent 4 mois de reconstruction physique : “Tu remarcheras !”, je te promets. Je n’en sais rien. J’espère.
Et tu as remarché : tu es passé du fauteuil aux béquilles et, un jour, enfin, tu as le droit de poser le pied par terre. On a soigné tes blessures… physiques.
Voilà, tu rentres à la maison, apeuré car tu ne te sens plus en sécurité, tu n’es plus dans ton cocon blanc du centre de rééducation, et moi, la journée, je pars travailler parce qu’il le faut bien…
Et tu m’agresses, m’insultes, hurles sans raison, et moi j’apprends en octobre mon cancer de la thyroïde, il faut que je me soigne…. sans toi, qui ne me soutiens pas, et qui pleures tout le temps quand tu ne cries pas.
Opération, irrathérapie, hypothyroïdie profonde, kilos, dépression, maintenant c’est mon tour, pendant 6 mois. Pendant ce temps, tu enchaînes les hospitalisations pour ton fémur, on continue à soigner ce qui ce voit et SEULEMENT ce qui ce voit.
Et puis… je me rends compte, 18 mois après l’accident, que tu ne comprends plus ce que tu lis, que tu ne sais même plus écrire, plus compter… Notre fillette de 10 ans essaie de te réapprendre tes tables, l’alphabet, sans résultat. Et tu passes toujours de l’euphorie à l’agressivité, tu oublies tout, tout le temps, tu ne sais plus bricoler sans faire de bêtises, tu dépenses sans compter, je suis obligée de te priver de carte bleue et de surveiller les comptes sans arrêt….
Et pendant ce temps là le vide s’est fait autour de nous : mon cancer a éloigné beaucoup “d’amis”, et toi tu as survécu à ton accident, alors pour nos proches tout va bien.
Mais pendant ce temps-là, je bataille aussi toute seule avec les assurances, avant de finalement laisser tomber, tant pis. Trop compliqué, trop épuisant, je préfère consacrer mon énergie à notre reconstruction. Alors nous perdons nos droits, la forclusion arrive vite.
Pendant ce temps-là, aussi, le corps médical m’entend enfin, et pose le diagnostic, 2 ans après l’accident : syndrome frontal, dû au traumatisme crânien. Handicap invisible pour ceux qui ne vivent pas avec toi au quotidien. Ça modifie ton comportement, ton humeur, ton caractère. Je dois apprendre à aimer quelqu’un d’autre.
Et la vie qui passe, cahin caha, avec notre fille qui nous pète un plomb à l’adolescence, fugue, hospitalisation, comportement suicidaire, scarification, hospitalisation, thérapie familiale, psychologues, pédo psychiatre, et qui trouve enfin un équilibre et devient une belle jeune maman enfin heureuse….
Et nous voilà 15 ans après…
Ma fille nous soutient, mais le reste de la famille s’est éloignée : petit à petit, ton traitement pour le syndrome frontal est devenu inefficace, tu perds à nouveau la mémoire, tu es redevenu agressif.
J’ai peur de toi depuis quelques semaines, de ce que tu pourrais me faire, et je ne veux pas t’abandonner parce que tu es mon mari, que je me dois d’être là pour toi.
Notre médecin généraliste, tu le roules dans la farine : tu lui dis que tu vas bien, il te croit. Il est vrai qu’il nous connaît depuis 30 ans… Il ne me croit pas, je le vois bien, quand je lui dis tes difficultés, il pense que j’exagère… du coup il m’a mis sous antidépresseurs.
Alors j’appelle ton nouveau neurologue qui me fait dire par sa secrétaire qu’il ne gère pas les urgences, et que je n’ai qu’à me rapprocher d’un service d’urgence psychiatrique. Oui, mais tu ne veux pas entendre parler de psychiatre, tu n’es pas fou, c’est moi qui ai un problème, me dis-tu..
J’ai peut-être une solution : j’ai retrouvé les coordonnées d’un spécialiste des traumatisés crâniens, cet éminent Professeur de la ville de G. que tu avais rencontré il y a 10 ans, qui est à la retraite et qui continue à consulter bénévolement : et oui, ça existe….
J’ai eu sa réponse hier, une demi-heure après ma sollicitation : il se souvient de toi, de nous, il va nous recevoir. Quel soulagement, quel espoir, j’entrevois la lumière au bout du tunnel.
Tout ça pour expliquer combien les aidants sont seuls, vraiment seuls.
Je ne parle plus de tout ça à personne de peur qu’on me dise que je me plains, que le peu de gens, d’amis, de famille, bref le peu de tendresse qui reste s’éloigne encore.
Je fais semblant.
Et je suis fatiguée.