L’histoire c’est Petit Bleu, si vous voulez raconter, c’est ICI.
Alors voilà, je suis flic et je n’ai même pas 2 ans de maison ce soir de novembre-là… La soirée a été calme et on en a profité pour manger un morceau au central lorsque la radio nous appelle. “C’est pour un Delta-Charlie-Delta”. Une personne décédée à domicile.
On repose les gamelles, puis on se rend sur les lieux.
On arrive devant l’appartement, la porte est entrouverte. Ouf, de la famille sur place ! Ça nous retire un poids…
Un couple nous accueille. Je me souviens de l’homme, la quarantaine, taillé comme un rugbyman, les yeux rouges. C’est le fils.
On demande si on peut rentrer. On s’essuie les pieds sur la paillasson. On serre la main. On dit bonsoir et on se sent immédiatement très con de l’avoir dit.
Il a la gorge nouée, le fils… Il a du mal à nous parler et nous désigne la chambre. Je le remercie et lui dis qu’il peut m’attendre dans le salon pendant que mon collègue relève son identité. Il a l’air soulagé. Personne n’aime voir le cadavre d’un proche…
J’entre dans la chambre, où je trouve une mamie comme toute les mamies : petite, très maigre, les cheveux blancs et la chemise de nuit. Elle est tombée de son lit et gît face contre le sol. A côté d’elle, une bouteille de gin bon marché et assez de médicaments pour ouvrir une pharmacie.
Constatation sans appel : mamie a décidé que 82 ans était un âge respectable pour mourir… Allez hop ! Alcool, drugs et rock’n’roll ! En route pour les nuages roses et les licornes arc-en-ciel…
Je vais parler au fils avec douceur. Il propose un café. Lui tourne à l’alcool et allume sa cigarette avec le mégot de la précédente. J’accepte le café, je devine qu’il a besoin de penser à autre chose, de retrouver des automatismes, de reprendre le contrôle sur la situation même si ça se limite à la préparation d’un Nespresso.
En attendant, je réclame un médecin sur notre radio. Étrangement, vous pouvez être tout ce qu’y a de plus mort, tant qu’un médecin ne l’a pas déclaré, vous êtes officiellement toujours en vie.
Après 3 heures d’attente et une dizaine de coups de téléphone à différents organismes, un médecin arrive. Je passerai les détails sur son besoin pathologique de jouer dans un épisode des experts à Miami et de mener l’enquête à notre place, toujours est-il qu’il constate le décès de mamie.
L’histoire aurait pu/dû s’arrêter là. Merci docteur. Au revoir docteur.
Mais non. C’est à peu près à ce moment-là qu’il est venu parler avec le fils.
– Vous avez la carte vitale de votre maman ?
Surprise. Je ne suis pas médecin, alors je me dis que, peut-être, il doit bloquer sa carte pour éviter des fraudes ? J’en sais rien, moi.
– Non. Vous ne l’avez pas ? Ah mince. Vous avez la vôtre ?
Le fils :
– Euh… Oui…
(Dans ma tête, c’est “mais qu’est-ce qui se passe ?”)
– Vous pouvez me la passer, s’il vous plaît, je mettrai la consultation à votre nom.
(PUTAIN DE BORDEL DE MERDE ?!?!? J’ai dû mal entendre. J’interviens.)
– Excusez-moi docteur, mais l’officier de police judiciaire vous a fait une réquisition.
(En clair ça veut dire qu’on l’oblige à venir et que c’est l’état qui paye.)
– Oh oui mais ça prend trop de temps. Alors que si monsieur me fait un chèque, je serais payé de suite, et de toute façon il sera remboursé par la sécu…
Je l’avoue là, à ce moment précis, j’ai eu envie de lui casser la gueule. Hélas, je suis quelqu’un de civilisé, alors je me suis retenu et on est reparti en pensant que les médecins étaient tous des bâtards qui te laisseraient crever sur le carreau si t’avais pas une carte vitale et un chéquier…
…puis je suis sorti dans la rue et de l’autre côté j’ai vu le cabinet de LA Vétérinaire. Je me suis souvenu que ça faisait déjà 3 fois que je lui amenais des chiens errants. Pas de réquisition. Pas d’argent pour la consultation. A chaque fois elle les a auscultés pro bono, sans rien d’autre que le sens du devoir et peut-être aussi l’amour de ses “patients”.
Alors je me suis dit que comme dans tous les métiers, il suffisait d’un seul médecin mal luné, désabusé ou souffrant d’un cruel manque d’empathie pour mettre à mal la réputation de toute une profession.
Je suis rentré au commissariat en me rassurant que tout les médecins n’étaient pas comme lui. J’ai eu une petite pensée pour tous les urgentistes et leur travail ô combien difficile. J’ai eu une pensée pour ce fils de quarante ans qui pleurait sa mère et qui avait dû payer 70 euros pour qu’on lui certifie qu’elle était morte.
Alors au petit matin, sans échanger un mot, nous sommes rentrés dans nos maisons.
Et on a tous appelé nos mamans.