Texte reçu d’une jeune femme, C.
Alors voilà,
Je suis autiste, Baptiste.
C’est rigolo parce qu’elle rime, ma blague à deux balles. Sauf que ce n’est pas une blague et que ce n’est pas rigolo du tout. Surtout quand on doit affronter ta profession.
Oui, j’ai dit affronter. Parce que pour l’autiste que je suis (je parle donc pour moi, pour le couple que je forme avec un autre autiste mais pas pour TOUS les autistes, entendons-nous bien), avoir besoin du monde médical, c’est à chaque fois un combat, une bataille qui épuise, où il ne faut pas perdre, puisqu’on ne peut pas gagner (non, contre l’autisme, on ne gagne jamais) .
Mon problème majeur c’est que ton monde à toi, Baptiste, celui qui a t’a vu naître en tant que médecin, l’hôpital, est rempli d’à peu près toutes les choses qui agitent cette différence neurologique façon canette de soda. Un best of, quoi. Mais un best of dangereux, potentiellement létal (non je n’exagère pas). Bruits forts, portes qui claquent, lumière intense, interlocuteurs différents plus ou moins intéressés à écouter, plus ou moins disponibles pour écouter, contacts physiques plus ou moins pénibles (les plus pénibles n’étant pas forcément ceux redoutés par les non-autistes, les Neurotypiques), odeurs…
Pour quelqu’un comme moi, la submersion est rapide et juste après, la saturation d’informations peut littéralement m’empêcher d’avoir une conduite cohérente ou des interactions normales. Je ne te parle pas non plus de la terreur qui accompagne tout ça, elle est bien au delà du rationnel. Et surtout, elle ne se voit pas.
Mais tu sais, le pire, ce n’est pas ça. Non. Le pire, c’est ce mépris condescendant, hérité des bonnes vieilles théories puantes de moisi de Freud et consorts, qui laissent entendre que c’est au fond une seule question de volonté, un “choix” de notre part, directement hérité des comportements pervers d’une mère crocodile. Parfois aussi, nous n’existons pas, nous les autistes de haut niveau ou Asperger. Ce n’est pas possible, en effet, ce langage impeccable, ce regard normalement posé sur l’autre. Ce n’est pas ça, un autiste. C’est un enfant qui crie en guise de communication, qui se tartine de caca, se déshabille même en plein hiver, se tape la tête contre les murs, mais pas une adulte de 40 ans, diplômée universitaire, qui se dit noyée par les informations mais répond calmement aux questions qu’on lui pose.
Et voila que j’en arrive à la question du danger.
Le danger, c’est d’arriver au point de non retour, celui où je n’ai qu’une envie, c’est fuir. Fuir le bruit, le contact qui fait mal, la lumière qui me brûle le cerveau, les questions dans lesquelles je finis par me perdre et dire tout et son contraire, passant au mieux pour une gentille hypocondriaque, au pire pour une hystérique (ce qui, le sachant, me force à déployer une énergie folle pour être dans une vérité absolue st objective continuellement ). Retrouver mon compagnon, au delà des portes qu’il n’a pas le droit de franchir dans ces circonstances, alors que c’est justement d’un appui solide et connu dont j’ai besoin pour gérer le flot d’informations que représente un passage dans un service d’urgence.
Alors la dernière fois, effrayée et épuisée, j’ai minimisé. Les symptômes, leur expression. Je me suis réfugiée dans ma bulle. J’ai encaissé le manque d’air (je venais pour une crise d’asthme qui ne se calmait pas malgré le traitement ) au maximum du maximum de ce que je pouvais. Parce que j’étais terrifiée d’être séparée de mon compagnon, mon seul ancrage dans ces moments là pour comprendre qui je suis, où je suis et quand, sans décrocher totalement. J’ai refusé les urgences de l’hôpital, on a donc échoué aux “petites urgences” de la clinique. Ils étaient débordés. J’ai dû attendre. Je me suis sentie en danger, à cause de ce choix de sauvegarder mon intégrité mentale d’abord.
Alors voila, je me dis : comment est-ce possible de devoir choisir ?
Merci de m’avoir entendue par ta simple lecture,
C.