Alors voilà, aujourd’hui je veux vous parler du visage d’Annabelle et de son fils, Milo, 6 ans.
Alors qu’Annabelle prépare le déjeuner, Milo veut aider sa maman.
Evidemment, ce qui doit arriver, arrive.
Une cuisine- Un couteau- Un enfant.
Bref, on part pour les Urgences pédiatriques. En voulant cuisiner, le petit s’est coupé.
Alors, je rassure tout le monde : il s’agit d’une toute petite coupure de rien du tout, mais comme Annabelle le précise, elle n’en sait trop rien car son fils, dit-elle, « raconte n’importe quoi… ». Tous les soignants en ont déjà fait l’expérience avec les petits : il suffit de leur montrer un endroit en leur demandant s’ils ont mal pour que la réponse soient INVARIABLEMENT oui. Je pense que ça doit être une sorte d’instinct de conservation. Un reste de cerveau reptilien. « Dans le doute si on te demande, dis que tu as mal. Quelqu’un s’occupera de toi. »
Annabelle conduit donc son fils aux urgences pédiatriques de l’hôpital. On les installe en salle d’examen, son fils est sur-excité d’être là, avec des docteurs et des infirmiers.
A ce moment-là le pédiatre arrive, il commence à déballer le pansement autour du doigt blessé, quand l’enfant de 6 ans le regarde, pose sa petite main sur le bras du médecin pour arrêter son geste et lui annonce :” Je te préviens j’espère que tu es prêt parce que c’est pas joli joli. Tu vas faire des cauchemars… et toute la nuit en plus ! ”
Je remercie Milo d’avoir pris soin du petit coeur du pédiatre qui n’a pas dû voir de plaie depuis au moins une bonne heure !!
Pourtant, il faut se rendre compte que ces mots d’enfants sont magiques parce qu’ils nous ramènent par leur naïveté, à une poésie du monde que nous avons perdue. Celle des premiers temps et que retranscrit si bien Romain Gary dans son fabuleux roman « La vie devant soi » quand il fait dire au petit Momo la phrase suivante :
« Moi ce qui m’a toujours paru bizarre, c’est que les larmes ont été prévues au programme. Ça veut dire qu’on a été prévu pour pleurer. Il fallait y penser. Il y a pas un constructeur qui se respecte qui aurait fait ça. »
Dans le même ordre d’idée une infirmière raconte comment, un jour, qu’alors qu’elle tapotait le bras d’un enfant pour faire sortir la veine, le petit l’a regardée et lui a demandé : « hey, pourquoi tu me frappes ? J’ai pas fait de bêtise ! »
Deux personnes. Un adulte, un enfant. Deux visions différentes de ce qui est en train d’arriver.
De même, lorsque l’infirmière partira avec un échantillon du sang de l’enfant, celui-ci aura cette phrase : « Hey, où tu vas avec mon corps ? C’est à moi ! »
L’enfant a raison, le sang, son sang, c’était son corps.
Ces rapports entre cet enfant et cette infirmière, portent en germe tout ce qui, plus tard, sera responsable du fossé entre soignants et soigné. L’incompréhension, le manque de communication, l’incapacité à voir avec les yeux de l’autre, ce que voit l’autre, ce que ressent l’autre, sa vision À LUI de ce qu’il est en train d’arriver ICI et MAINTENANT au moment du soin.
L’enfant nous oblige à faire un pas de côté. A voir autrement. Ils sont importants dans une société. Ils le sont encore plus dans un hôpital. Y a un proverbe sanskrit qui dit « une maison sans enfant est une tombe ». Je crois qu’on peut dire la même chose d’un hôpital sans enfant. Un hôpital sans enfant est une tombe.
Car ce que ce gamin dit à ce médecin en le prévenant de la mocheté de sa petite blessure c’est : TU AS LE DROIT d’être encore touché par du sang, par une plaie, par des pleurs. TU AS LE DROIT de ne pas être totalement blasé. TU AS LE DROIT de faire des cauchemars quand le quotidien est trop dur. Même si t’es médecin. Même si tu en as vu d’autres. En un mot : TU AS LE DROIT d’être encore un être humain.
Et pour cette permission donnée à un seul qui vaut rappel à tous, j’ai envie de dire à Milo et à tous les enfants du monde, de la part de tous les soignants et de toutes les soignantes : MERCI.