(Photo : ICI)
Alors voilà… Aujourd’hui je veux parler du visage de Marie.
Marie est une femme, elle a la soixantaine, et elle est grand-mère.
Mais surtout, Marie boit.
Beaucoup.
Ses amis ne le savent pas.
Elle ment à tout le monde, tout le temps.
Même ivre morte, Marie soutient que non, elle n’a aucun problème avec l’alcool.
Elle refuse d’aller chez le médecin, parce qu’elle sait qu’il pourrait découvrir son secret.
D’ailleurs, Marie ne fait jamais de prise de sang : son taux de Gamma GT la trahirait. Elle a peur qu’on voie qui elle est vraiment à l’intérieur. Enfin, ce qu’elle croit être vraiment.
Elle se hait d’être si fragile.
Quand Marie garde ses petits-enfants, elle a hâte qu’ils repartent le dimanche soir. Elle a hâte et a honte d’avoir hâte. Elle les aime pourtant, mais quand ils s’en iront, elle pourra continuer de se saouler, mais sans se cacher.
Marie est dans l’alcool comme le moucheron dans la toile. Elle n’en peut plus de se débattre alors elle dit à sa fille de ne plus lui amener les petites. Car Marie a peur d’avoir un accident de voiture.
Elle a tellement honte qu’elle préfère renoncer à sa propre famille, Marie. À ses petites-filles !
Marie s’entoure de femmes qui ont le même problème. Pour se déculpabiliser. Se sentir moins seule, même si elle sait la vérité, Marie : on peut être plusieurs dans une solitude immense.
Le temps passe.
Parfois, Marie ne dessaoule pas pendant des jours. Un matin, Marie n’a plus de mari. Son amoureux est parti.
Elle ne parle plus à sa fille.
Avant, Marie avait une maison, mais elle a oublié. Elle a perdu son adresse. Marie est à la rue. Marie a froid, elle a faim, elle est violente. Marie crève. Marie pourrait être notre sœur, notre mère, notre tante, notre collègue, notre voisine. Marie n’existe pas, je ne l’ai jamais rencontrées. Ou plutôt si, elle existe, et elle existe TROP mais on ne le sait pas, c’est tabou ça, l’alcoolisme féminin.
Sachez-le : les Marie sont 500 000 en France, alors j’en ai probablement souvent rencontrées sans le savoir. Comme vous.
La romancière Cathy Galliègue, dans son dernier roman « Et boire ma vie jusqu’à l’oubli » pose ces mots dans la bouche de son héroïne :
« J’attends la nuit, cherche une porte-cochère pour m’y rouler en boule et boire avec dégoût, m’essuyant la bouche du dos de la main entre deux gorgées, jetant aux passants qui oseraient tourner la tête vers moi le regard de la mort. Je ne suis plus rien, coiffée, maquillée, debout, mais plus rien, et personne ne le sait. »
Je parle de ce roman parce qu’il aborde le sujet tabou de l’alcoolisme féminin, et qu’il le fait avec délicatesse et beaucoup de justesse. Il sort la poussière de sous le tapis, comme on dit. J’ai contacté la romancière ce week-end, je lui ai demandé pourquoi elle avait écrit ce très beau roman.
Elle m’a répondu ces mots bouleversants :
« L’alcool a mangé mon enfance, ma Marie à moi s’appelait maman, et nous ne nous parlons plus depuis dix ans. Alors j’ai écrit pour que les femmes concernées comme ma mère puissent parler. Et qui sait ? Peut-être même reparler à leurs filles ? ».
Cathy Galliegue a écrit, et moi, aujourd’hui, je parle. Pour toutes les Marie qui nous écoutent, et leurs familles.
Vous n’êtes pas seules.
(vous pouvez écouter cette chronique de l’émission Grand Bien Vous Fasse sur France Inter, ici)