(La photographie est de mon fait, si vous voulez suivre ce que je mitraille, c’est ici.)
Alors voilà, il s’appelle Miran, et c’est un enfant Syrien de 11 ans que je rencontre au cabinet médical en soignant son papa.
Ses parents sont réfugiés.
Quand Miran entre au cabinet, il me prend dans les bras comme si nous étions amis de longue date et il me serre fort contre lui.
Les patients en salle d’attente, qui ont tout vu, sourient en coin.
Moi, je reste les bras ballants, lui tapote l’épaule, sans savoir comment réagir.
Pendant que ses parents s’installent à mon bureau, le petit commente les objets qu’il voit en les pointant du doigt (je ne comprends rien), il sourit, il a l’air heureux de tout.
Ses parents, aidés d’une traductrice, m’expliquent que Miran souffre d’un handicap mental léger.
Il est toujours comme ça.
La traductrice raconte la fuite depuis leur ville natale, les longs trajets en camion, les nuits sans dormir, la faim, la soif, le froid, la peur au ventre, le passage périlleux sur la Méditerranée, les passeurs, l’argent qui passe de main en main, les humiliations, la mort omniprésente.
Pendant TOUT l’entretien, Miran est perché sur la table d’examen où il a grimpé tout seul et où il se balance d’avant en arrière, le sourire aux lèvres, en chantant, heureux. Je pipe rien, je ne parle pas syrien, mais elle est incroyablement BELLE cette berceuse.
A la fin, alors que l’oisillon Miran est encore sur sa branche, à chanter, je me permets de demander aux parents :
« C’est beau. On dirait une prière ou un poème… Elle signifie quoi, cette chanson ?
La traductrice m’explique.
Miran ne chante pas.
Il récite.
Quand Miran est content, à l’aise (et il l’est souvent à l’aise avec les inconnus), il aime s’asseoir et réciter la liste de TOUTES les personnes qu’il a rencontrées depuis qu’il est né. Il les connaît toutes par cœur, ces personnes ! À force de répéter leurs noms ! Et, tous les jours, il ajoute de nouveaux noms. Toutes celles qui croisent sa route depuis sa naissance dans un pays en GUERRE jusqu’à son arrivée dans un pays en PAIX.
Une liste immense. Des visages. Des dizaines de visages. Qu’il honore. En chantant leurs noms.
Et il commence toujours par celui des personnes de son quartier. Son quartier, son enfance, qu’il a quitté avec ses parents. Combien de morts parmi ces noms-là ?
Peut-être que, si on attend assez longtemps, il dira mon nom ? Peut-être qu’un jour, si vous le rencontrez et qu’on lui laisse assez de temps pour aller au bout de sa récitation, il chantera votre nom, Miran. Parce que Miran est heureux, tout le temps, et que même s’il est dans un monde bien à lui, il se souvient de nous tous.
Lors de leur départ, le père a dit en me serrant la main : « je suis enchanté de vous avoir rencontré »
S’il savait combien c’est moi qui suis enchanté de l’avoir rencontré lui, et son enfant dont on se moque souvent dans la rue, ou dans les salles d’attente, sans savoir que c’est l’humanité toute entière, les vivants comme les morts, qui est chantée et célébrée par sa bouche.
Ça m’a bouleversé et je voudrais que les personnes qui nous écoutent soient bouleversées comme j’ai été bouleversé.
On est tellement beaux, nous, les humains, quand on veut, quand on peut. On est tellement incroyablement beaux que c’est aveuglant. Faut se battre pour ça, le reste c’est de la misère
, d’ailleurs l’humain c’est 90% de misères pour 10% de beauté brute, mais il faut se battre pour ça. Vraiment. Pour les petits garçons du bout du monde qui s’installent un matin sans vous prévenir sur votre table d’examen, puis qui chantent les morts et les vivants.
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Les dates et les lieux de dédicaces de mon dernier roman sont à retrouver dans la précédente chronique.
Merci à celles et ceux qui lisent AUSSI ce que j’ai à crier dans mes romans.
Vous savez.