Alors voilà pourquoi je suis moins présent sur les réseaux et le blog…
Parce qu’il y a ceux qui t’écrivent pour te demander des conseils médicaux et, quand tu leur dis que tu ne travailles pas sur facebook, que tu as déjà fait cela toute la journée au cabinet médical, et qu’il est quand même dimanche soir 23h20, t’envoient chier en mode « je vous pensais plus humaniste… »
Ah mais c’est à dire que… Non, pas de MAIS. Tu es corvéable à merci, Baptiste. Tu dois bosser tout le temps, t’es juste une bête. Une bête de somme.
Il y a celle qui, parce que deux semaines d’affilée, tu as eu le malheur d’enchaîner des chroniques tristes, décrète que « tu verses dans le misérabilisme et fais du tire-larme numérique ton fond de commerce »
(Ah mais c’est à dire que… Non, tu as bien compris, Baptiste : il faut alterner. Une semaine sur le suicide, une semaine sur les prouts. Une semaine sur un enfant qui meurt, une semaine sur les pieds qui puent).
Il y a cet éditeur que tu ne connais pas, mais qui, parce que tu n’as pas parlé d’un livre qu’il t’a envoyé en service de presse, raconte à des blogueurs littéraires que tu as « pris un melon énorme ».
(C’est d’ailleurs pour cela que je reste vivre à Toulouse et refuse de m’installer à Paris : le melon est trop dur à transporter jusqu’à Saint-Germain).
Il y a ces blogueurs littéraires qui t’accusent d’avoir pris le melon, parce que Monsieur Machin, éditeur parisien, le leur a dit.
Ah oui, mais… Non, Baptiste, si Monsieur Machin l’a dit c’est que c’est vrai. Aucun rapport avec ce service de presse dont tu n’as pas parlé ! Evidemment !
Il y a cette internaute qui t’écrit un pavé énorme où elle a compilé tous ses problèmes de santé depuis le CM2 (merci mais non merci, madame. Globalement, écouter des gens se plaindre, c’est mon boulot. Je NE VEUX PAS lire cela en rentrant de ma journée, je NE VEUX PAS lire d’autres souffrances, j’ai eu ma dose).
C’est la même internaute, qui, parce que tu ne lui as pas répondu en 48 h, t’écrit un petit « UP ☝🏻 » deux jours après (genre elle siffle son chien qui ne lui a pas rapporté le courrier à temps).
Ah oui, mais… Non, Baptiste, la dame souffre. Elle SOUFFRE, compris ? Tu dois l’écouter. Tu as déjà écouté 36 000 personnes dans la journée ? Tu as envie d’oublier que la maladie et les malades existent ? Faire une pause ? BEN NON. La dame souffre. Après elle, il y aura quelqu’un d’autre, et après tu iras dormir et demain matin il y aura ENCORE quelqu’un d’autre (il y a toujours quelqu’un d’autre, ça fait un mal de chien).
Ah et je vous ai parlé de celui qui te demande juste « un contact sur Toulouse… » ? Well, ça aussi c’est mon boulot : trouver le bon spécialiste pour le patient. J’ai pas envie de faire cela le soir quand je rentre. Je suis comme tout le monde : je veux regarder NETFLIX en imaginant que la vie est belle comme dans les séries Américaines.
Il y a cet internaute qui t’écrit « je vous adore. Merci d’exister. Hélas cela ne suffit pas, j’ai décidé d’en finir avec la vie »
Oui, mais là je suis sur mon vélo, monsieur, et je travaille, monsieur, et je suis déjà en train de soigner quelqu’un d’autre, monsieur. Alors tu te retrouves à chercher son adresse sur Google en contactant ses amis facebook et contacter des pompiers à l’autre bout de la France pour qu’ils aillent défoncer sa porte et t’appeler pour te dire « non mais il va bien, il voulait juste un peu d’attention ».
Ah mais il va falloir faire la queue, monsieur !
Ai-je parlé de celui qui écume internet pour retrouver ton vrai nom et ton cabinet médical puis t’écrit personnellement pour te demander de devenir son médecin traitant ?
Et quand tu as le malheur de lui dire que tu trouves cela « un peu intrusif et effrayant », il te fait culpabiliser en te faisant passer pour un connard insensible (toi ? Insensible ? Ah ah ah ah. Non).
Alors que toi, ben toi t’as juste envie d’éclater en sanglots et que les gens te foutent la paix avec leurs procès d’intention et te laissent écrire tes romans et soigner.
Juste écrire et soigner.
Si vous souhaitez partager un témoignage de soignante ou de soignée, écrivez-moi ICI , mais je ne veux/peux que partager vos témoignages, vous donner une voix. Pas les porter à votre place, ni les recevoir comme des gifles. Être un relai. C’est tout.
PS : le pire c’est qu’ils me disent « je comprends » quand je leur dis ne pas pouvoir les aider car je ne consulte pas sur Internet. Ils comprennent que dalle ! Ils mettent de côté une dimension psychologique insupportable. Quand vous êtes dix, vingt, trente cent à contacter un médecin sur internet et qu’il vous répond « non », vous le faites culpabiliser affreusement.
Car « j’aurais quand même pu lui répondre », pense le gentil médecin à 22h21 sur son canapé.
Il y pense jusqu’à 22h44, heure des poules, heure à laquelle il va dormir, épuisé, sans avoir pu profiter sereinement du peu de temps qu’il avait avec les siens (qui ont probablement aussi, d’ailleurs, un trou qui leur fait de l’air !).
Troisième fois qu’on vient me demander des conseils médicaux en MP cette semaine. C’est tous les jours.
En vrai, y répondre c’est aussi le travail du médecin (on gagne notre vie comme ça). Et me poser des questions c’est nul car ça me fait culpabiliser si je ne réponds pas.
Ici, je ne suis pas là pour bosser.
Donc merci d’arrêter svp.
PS 2 : de toutes façons, on mourra tous, alors inutile de paniquer.
Je serai aussi samedi à 15h30 à la librairie Rimbaud de Charleville-Mezieres pour une rencontre avec vous toutes et tous !