Archives mensuelles : février 2020

Un peu de chaleur humaine.

Alors voilà, il y a ce patient de 84 ans que j’ai connu il y a longtemps, je veux vous en parler comme s’il était avec nous là maintenant.

Il est veuf, mange seul, fait ses courses seul, réveillonne seul à Noël, bref bref bref c’est pas trop trop trop la joie, son dos lui fait mal, il marche un peu courbé. Ses interactions sociales sont assez limitées.

Parfois il envie son voisin de palier car « lui n’a pas bien pris soin de son cerveau alors il ne se souvient de rien. Moi j’ai pris soin de mes neurones alors je me souviens de tout ! ».

Il s’applique chaque jour à bien manger, bien entraîner ses souvenirs, mots fléchés, mots-mêlés, mots-croisés, et sudoku, huile de foie de morue.

Il a tout fait bien comme il faut pour préserver sa mémoire et ne rien oublier.

D’ailleurs, chaque fois que je le vois il me parle de ses parents, me décrit des scènes de son enfance comme si elles étaient survenues avant-hier, et il lui arrive de pleurer quand il parle de son père ou de sa mère « vous devez trouver cela bête que je les appelle encore papa et maman, à mon âge ! ».

Il me dit qu’il n’arrive pas à se faire à l’idée de leurs départs, qu’il aimerait juste les prendre dans ses bras encore une fois c’est tout, que c’est étrange cette vie où on vient au monde et on aime, et je comprends que sa question, grande grande grande question, eh bien sa question est celle-ci :

pourquoi faut-il qu’on naisse, aime tant certaines personnes, puis qu’on les perde ?

Je n’ai pas la réponse mais j’aime bien ce patient alors on parle de tout et de rien, il vient juste renouveler son traitement rien de trop compliqué alors on a du temps. On papote.

La dernière fois, il entre, il prend ma main, il la garde plus longtemps que d’habitude dans la sienne (mais pas d’une étrange façon) puis il ferme les yeux (mais pas d’une étrange façon) inspire et expire longtemps, puissamment (mais pas d’une étrange façon) puis il me dit qu’il aime bien ma main parce qu’elle est chaude et que son papa avait la même chaleur dans la paume, il me dit ça à moi alors que j’ai 34 ans et lui 84, et c’est vrai qu’il a les mains froides, je m’en rends compte maintenant.

Le cerveau sait toujours trouver un moyen pour convoquer le passé, le raviver un instant, en vue (qui sait?) d’apaiser un peu la mélancolie d’être la même personne qui pense dans le vieux corps qu’on est devenu.

C’est peut-être même à ça que cela sert, la chaleur humaine : aider les souvenirs à trouver leur chemin.

(vous pouvez aussi retrouver ces chroniques sur le site de France Inter ICI).

N’aie pas peur, jamais.

Alors voilà, il y a de cela un an, j’envoyais anonymement un recueil de poèmes à l’éditeur, auteur et critique littéraire Eric Poindron.

Il n’avait aucun moyen de savoir qui l’avait rédigé.

Avais-je besoin de (re)faire mes preuves ? De me persuader que je n’étais pas un imposteur ? Après les romans, le théâtre, les nouvelles ?

Deux mois plus tard, alors que je m’imaginais ledit recueil achevant lamentablement sa vie au fond d’une broyeuse, je recevais ce message : « Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous êtes un poète. Rencontrons-nous ». Signé : Éric.

Voilà comment, dix mois et une neuve amitié plus tard, je suis immensément fier de vous annoncer la sortie prochaine de mon premier recueil de poèmes, illustré par le fantastique et talentueux peintre Joséphin Bastière.

Le recueil s’appelle « N’aie Pas Peur, Jamais ».

Il sera disponible en avant-première au salon du Livre de Paris (on inaugure la collection le samedi 21 mars à 17heures ! En compagnie de Dominique Tourte qui a rendu l’aventure possible), puis dans toutes les librairies début avril.

Je vous en parlerai encore et encore…

Il est, à mes yeux, bien plus qu’un recueil de mots, la preuve que je n’ai volé la place de personne.

PS : Je suis infiniment désolé : à priori un Bug fait publier plusieurs fois l’article et vous inonde de mails. Je déteste être spammé. Toutes mes excuses pour ce cafard dans la machine…

Madame Oiseau

Quand je parle ici de mon expérience je n’évoque jamais un patient particulier mais des ensembles de patients, que j’agglomère sous un visage individuel.

Et en usant du même procédé je voulais vous parler de madame Oiseau.

Elle boit. Elle a hésité à m’en parler la première fois que nous nous sommes vus en consultation. Parce que c’est honteux. Pour une femme. D’ailleurs, elle parle peu, ses mots sont des événements. Elle m’explique. Elle va perdre son permis de voiture. Peut-être la garde de ses enfants.

Elle tremble, parait sur le point de s’effondrer.

Comme l’écrit l’excellente romancière Cathy Galiegue dans son roman sur l’alcoolisme féminin « et boire ma vie jusqu’à l’oubli » :

« Autant nommer les choses pour ce qu’elles sont. On ne boit pas. Boire, c’est pour se désaltérer. Un boulimique ne mange pas, il bouffe. Quand on se fait glisser de l’alcool dans le gosier, tous les jours, en quantité massive, alors on ne boit plus, on se livre une lutte armée dans laquelle l’assaillant est aussi l’assailli. »

Eh bien quand je fais sa connaissance, Madame Oiseau est l’assaillante assaillie.

On parle ensemble. Longtemps. De son histoire, de ses peurs, de ses regrets, des endroits où elle cache l’alcool dans la maison, « entre les plis du linge puisque de toutes façons personne hormis elle ne s’occupe du linge ».

Je ne dis rien mais cette histoire de linge, c’est peut-être une part du problème. Je ne sais pas.

Elle me parle aussi de cette fois où des policiers l’ont arrêtée et ont pris en se marrant des photos d’elle en train de tituber au poste. Du lendemain matin, aussi, où un policier a profité d’avoir son numéro de téléphone pour lui proposer un rendez-vous et « d’aller boire un verre ».

Quand on boit on est vulnérable. Quand on boit et qu’on est femme on est vulnérable au carré.

Eh bien je veux le dire : cette patiente s’en sort. Elle s’en sort toute seule. Elle est entourée, mais elle s’en sort. Et je voudrais vous parler de la façon dont j’ai vu, jour après jour, ses cheveux se faire moins gras, sa mise moins dépenaillée, son teint moins gris, et peu à peu, lentement, comme au printemps éclosent les bourgeons, revenir sur son visage un sourire, et du rose sur ses joues, et la vie reprendre ses droits.

Elle s’en est sortie. Elle s’est libérée. Elle est libre. Je ne dis pas qu’elle ne rechutera pas. Personne ne le sait, ça. L’alcool est un fil à la patte.

Mais elle a réussi.

Alors à toutes les madames oiseaux qui nous lisent je voudrais dire : ne perdez pas espoir.

Vous pouvez réussir, vous pouvez y arriver. Je le sais, je l’ai vu.

Parlez-en si vous vous en sentez la force. À un ami, un médecin, un parent, une collègue, une personne de confiance. Quelqu’un qui écoute sans juger. Parlez-en. Parlez-lui. Vous n’êtes pas seule.

(La suite de ces chroniques est disponible sur le site de France Inter, ICI)

(Je suis infiniment désolé : à priori un Bug fait publier plusieurs fois l’article et vous inonde de mails. Je déteste être spammé. Toutes mes excuses pour ce cafard dans la machine…)

Sortie !

Mon dernier roman sort aujourd’hui en format Livre De Poche, et il est sélectionné pour le Grand Prix des Lecteurs.

J’ai pas de mots assez forts pour vous exprimer toute ma gratitude : vous l’avez accueilli avec de tels jolis mots…

Merci à vous du fond du coeur : vous faites vivre cette petite bouteille à la mer…

Bonne journée !

B