On ne peut pas vraiment dire que ça a été de tout repos ces derniers mois.
J’ai vu des patients très ébranlés par les mouvements sociaux et la façon dont le gouvernement les a réprimés dans la rue, j’ai vu des patients effrayés par le coronavirus, j’ai accueilli la détresse de certains soignants, éreintés par la plus grande crise sanitaire depuis quarante ans, des soignants obligés d’aller au travail équipés de sacs poubelles en guise de surblouses, de masques périmés, des soignants tiraillés par des injonctions sanitaires se contredisant d’un jour à l’autre, des soignants à qui on a promis une meilleure reconnaissance, et qui aujourd’hui, découvrent que les conditions d’attribution de la fameuse prime COVID-19 eh bien ils n’y répondent pas pour x ou y raisons.
Ben oui on le dit pas assez mais la prime Covid, en fait, c’est :
– si tu as été soignant en zone rouge,
– qu’il y a eu plus de mille morts dans ton département,
– que tu es né un jour impair,
– que ton père s’appelle Maurice,
– ET que ton prénom commence par un C comme dans « Calle-toi là derrière l’oreille ».
Bref, le médecin que je suis n’a pas grand chose de positif à tirer de cette année 2020.
C’est donc Baptiste le romancier qui va prendre le relais. Quand je suis romancier, eh bien je vois les belles histoires derrière les maladies, les trajectoires qui se croisent et font jaillir un peu de beauté de tout ce merdier.
Oui, oui, et oui, il y a du beau en ce monde.
Et il y a les patients et il y a leurs histoires.
Il y a cette dame de soixante ans, elle vit seule, dans un petit appartement, et passe ses journées dans le noir, parce qu’elle a peur des pigeons et de mille autres choses à l’extérieur, et elle en a peur depuis très longtemps, bien avant le virus, bien avant la distanciation sociale. Elle a pris de l’avance sur le confinement. Elle vit emmurée vivante depuis dix ans. Ses seuls contacts ? Moi et l’infirmier à domicile qui passe tous les jours.
Chaque fois que l’infirmier ou moi allons la voir en visite, on lui dit d’ouvrir ses volets, pour aérer, et elle nous dit « oui oui, je vais le faire » mais elle ne le fait jamais, ou seulement le matin, durant une heure, pas plus, vers 8 heures 15, moment où elle entrouvre sa tombe en cachette, pour regarder passer en bas de chez elle son fils qui tient un petit garçon par la main…
« Il emmène mon petit-fils à l’école », nous dit la dame.
La dame ne parle plus à son fils depuis des années et je ne sais pas pourquoi, y a des milliers de raisons pour qu’on cesse de se parler dans une famille. Les raisons leur appartiennent. Et ne plus causer à son fils, c’est un crevecoeur pour cette dame. Une vraie souffrance. Elle me le dit. Elle le dit à l’infirmier.
L’autre jour, j’arrive chez elle et je vois, dans la pénombre du salon, un joli bouquet de fleurs en train de faner.
Qui vous a offert ce bouquet ?
C’est l’infirmier, me répond la dame. Il me l’a offert dimanche pour la fête des mères.
Voilà. Je pense que je vais terminer cette histoire sur ce geste-là d’un infirmier envers une dame un peu blessée, qui a blessé sans doute, mais s’est rappelé le temps d’une journée qu’elle était toujours une maman, grâce à son infirmier à domicile.
C’est ça être soignant, aussi je crois. Merci à l’infirmier. S’il m’écoute, je veux être comme lui quand je serai grand.