(Photo : ICI)
Chère Edith,
tu es entrée avec Louis, ton fils de 6 ans. Tu as débarqué au cabinet médical au dernier moment comme d’habitude, bien après la fin des consultations.
« C’est pour faire vacciner le petit »
Moi je l’aime bien, ton Louis. Il fait le tour du bureau, se met sur mes genoux, veut que je lui explique ce qu’est un stéthoscope, un otoscope, un marteau-réflexe, etc.
J’aime moins la façon que tu as de lui parler, Edith : une façon sèche, brutale, mais j’essaie de pas juger, car t’es toute seule à l’élever, que ça doit être difficile, et que le père s’est barré en te laissant la charge d’un monde entier qui pèse 25 kg aujourd’hui, et que ce foutu père n’est pas là pour partager avec toi le poids de mes désapprobations totalement subjectives.
Je sonde un peu quand même : comment ça va à la maison ? le moral ? Le boulot ?
Je ferme un peu les yeux quand tu me demandes un jour d’arrêt maladie par-ci par-là parce que tu sais plus comment gérer le petit.
Il n’empêche, ce jour-là, Louis ne voulait pas se faire vacciner.
Et il hurlait, et il tapait des pieds, et il avait peur, et il refusait de regarder ailleurs pendant que j’approchais l’aiguille de son bras, et j’étais fatigué, et j’ai essayé d’être patient, j’ai parlé avec Louis, j’ai parlé longtemps, je lui ai mis un dessin animé sur le telephone, mais rien, il hurlait, il avait peur, et toi tu voulais qu’on fasse le vaccin là, maintenant, tout de suite, parce que tu cours toute la semaine et n’a pas le temps de revenir… Alors on a vacciné Louis, dans des conditions nullisimes pour un gosse, avec lui qui pleure et la musique joyeuse du dessin animé derrière, et je m’en veux, de pas avoir trouvé le moyen de vous dire qu’il fallait revenir, mais tu me pressais pour que je le fasse, et Louis pleurait, et j’étais épuisé de ma journée, et y a eu une sorte d’alignement désastreux des astres, dont l’origine est peut-être qu’on vit dans une société où 2 millions de femmes sont mères célibataires, où elles représentent 85 % des familles monoparentales, et où une sur trois vit sous le seuil de pauvreté.
Et où c’est vous, les mères célibataires, et vos enfants, vous oui, qui payez la lâcheté de certains pères.
Pardon Edith.
Pardon Louis.
Bouleversant
petite anecdote.
j’avais huit ans et ma mère m’avait emmenée chez le medecin pour un rappel de vaccination.
je sais pas comment il s’est débrouillé mais il a cassé l’aiguille dans l’épaule et il a du sortir l’extrémité qui etait restée dans l’épaule.
au moment du repas ma mère raconte l’événement a mon père.
Et tu sais pas ce qu’il a dit cette gnoque d’Arnal?Il a la peau dure le petit.A huit ans!!!
Et tous les deux de rigoler.
C’était en 1961 ,faite ça a Kevin aujourd’hui …..
Combien de petits Louis vaccinés dans les mêmes conditions, sans que le médecin ne s’en émeuve.
Vous êtes quelqu’un de tellement bien, de tellement humain…
Je viens de vous entendre, il y a quelques heures sur France Inter, une rediffusion sur les “garçons manqués”
Non Baptiste, pas vous. Mon ex, le “père” de mes deux filles s’est tiré il y a quatre ans. Elles sont assez grandes, j’ai des aides, je suis sûrement au-dessus du seuil de pauvreté et je ne veux pas généraliser. MAIS quel être humain se barre en abandonnant littéralement ses enfants, que d’ailleurs je ne considère plus comme les siens? Ce pauvre lâche avec qui j’ai gâché des années, et dont j’ai honte qu’il soit le géniteur de mes filles? C’est lamentable, oui, et d’une lâcheté inouïe. Je suis plutôt quelqu’un de pacifique, mais j’en ai tellement marre des MECS qui se croient pères parce qu’ils ont, euh, éjaculé. Ca c’est si facile, ça s’appelle le sexe. Pas la paternité.
Depuis hier, je tourne autour de votre texte, je le lis et relis ; j’en ai d’ailleurs envoyé le lien à deux personnes.
Parfois, on n’est pas mère célibataire et pourtant nos enfants et nous-mêmes payons aussi la lâcheté des hommes. Cela a été mon cas, j’ai été bien seule pour élever nos trois enfants. Je n’avais pas une minute à moi, travaillais à l’extérieur, avais quasiment la charge de tout, il m’arrivait de ressentir une si grande injustice. Enfin, tout ça est passé même s’il en reste des traces.
Je souhaite beaucoup de courage à toutes mes soeurs d’infortune et leur recommande de chercher de l’aide auprès de leurs ami.e.s, famille, proches, de professionnels de santé.
Je vous embrasse Baptiste et tous les lect.eur.rice.s.
Et bien moi ce qui m’a le plus interloquée dans ce texte, c’est qu’un médecin ait l’idée de reporter un RDV de vaccins parce que le moment est devenu vraiment traumatisant pour l’enfant. Je n’ai jamais vu cela lors de mon parcours médical, tout overbookés que sont les médecins qui suivent mes enfants. Peu d’efforts sont faits par ma pédiatre habituelle, qui va jusqu’à faire hurler (et saigner) mes enfants pour leur ôter un bouchon de cerumen. Quand je lui parle du petit aspirateur que j’ai vu chez un ORL, indolore, elle répond que c’est trop cher, et elle recommence à chaque fois…Et mes enfants ont peur de cet examen. Pareil pour le vaccin, je voulais mettre bébé au sein, mais elle a à peine attendu qu’il soit installé. Bref, on fait au plus vite pour soigner le plus de monde possible !
Baptiste, merci.
C’est parfois dur d’être à la hauteur de ses propres attentes. Vous avez placé la barre très très haut (trop ?)… un peu d’indulgence envers vous-même serait la bienvenue.
vu chez une généraliste, avec ma fille aînée : “ha non, quand on est une grande fille, on pleure pas” (on a changé de médecin, ma fille n’avait pas 2 ans !!)
vu chez une pédiatre avec ma seconde : “non, on n’a pas le temps de la mettre au sein et puis ça sert à rien” (ajoutons à cela qu’elle a tenté de me tromper sur le vaccin qu’elle avait décidé de lui prescrire, contre nos choix de parents… vaccin non obligatoire, je précise)… on a cessé d’emmener les nains chez la pédiatre notre super-généraliste fait ça super-bien pour les urgences, et une merveilleuse pédiatre PMI pour le suivi “de routine”.
vu à la PMI (avec les trois) : “le vaccin, on le fera après tout le reste, que ce ne soit pas ce qui restera le plus en mémoire… bon. Mettez-le au sein… tu vois, regarde, c’est une seringue, avec du produit, ça va d’abord faire froid, tu vois, je désinfecte. Et maintenant, je vais piquer, tu vas sentir la piqûre, ça ne fera pas mal longtemps et c’est pour te protéger de telle maladie…”
Aucun des trois n’a pleuré plus que quelques sanglots de surprise, et encore, seulement pour les injections connues pour être douloureuses.
Moi, je trouve que vous avez suivi votre instinct. Vous aviez bien compris que ce n’était pas le moment pour Louis, vous avez tenté de le mettre à l’aise, vous lui avez parlé, vous ne l’avez pas nié, vous n’avez nié ni sa peur, ni sa douleur, ni son humeur… et vous avez aussi très bien compris que ce n’était pas le moment de renvoyer Edith à la maison avec son vaccin dans la poche et son gosse pas vacciné au bout du bras… alors vous avez fait de votre mieux… c’est énorme, de faire de son mieux !
Quant-aux pères absents… mon voisin (76 ans, des idées bien arrêtées) a résumé ça d’un catégorique “les femmes, ce sont des victimes”… pour une fois, il avait raison…
Courage !
Dans leur difficulté, Edith et Louis ont la chance d’avoir un médecin extraordinaire, à l’écoute et empathique! Vous n’êtes pas responsable de la misère du monde mais par votre métier, vos écrits, vos interventions radiophonique, vous contribuez à rendre ce monde un peu meilleur et c’est tellement énorme!!!
Moi ce que je trouve génial à chaque fois c’est de voir que Baptiste s’émeut d’une situation sommes toutes routinière là où certains se sont (à tord) résignés à accepter que les gamins n’aimeront jamais les piqûres et pleureront toujours.
Vu avec mon fils qui avait alors 7 mois, une prise de sang dans le service d’anesthésie d’un grand hôpital pédiatrique en prévision d’une intervention: 2 infirmières pressées me somment sèchement de plaquer mon bébé sur la table d’examen, et m’expliquent qu’il va hurler, on peut pas faire autrement apparemment, mais que ça permet de bien faire monter le sang à la tête pour prélever sur le crâne, seul endroit possible à cet âge soi-disant. Un horrible moment qui a valu à mon fils une peur des blouses blanches pendant longtemps. Or, ce n’était pas sa première prise de sang. À 4 mois on était allé au laboratoire de mon quartier. Un petit câlin dans les bras de maman et un prélèvement sur le bras tout en douceur, pas le moindre pleur. Je crois qu’ils devraient donner des cours aux infirmières de l’hôpital pédiatrique….
Je connais ce moment de doute, je suis infirmière libérale, et quand il faut faire une prise de sang à un petit Louis, j’y vais la veille pour expliquer et je sais que la partie n’est pas gagnée le lendemain ! Je me souviens d’un Gabriel, 6ans, qui s’est mis à pleurer quand j’ai approché mon aiguille, j’ai dû m’arrêter, rediscuter, parler avec sa maman qui le rassurait, son grand frère qui l’encourageait, et non et non il bougeait toujours, j’ai voulu abandonner et je me suis dit :demain ça sera la même chose… Alors j’ai tenu fort son bras et j’y suis allée.. One shot ouf réussi ! Et là Gabriel s’est arrêté de pleurer, a commencer à rigoler avec son frère, c’était gagné ! Mais j’avais pas droit à l’erreur. 30min auront été nécessaires et j’ai eu droit à un bon café avec la maman ! Notre boulot, des doutes, des hésitations, des petites victoires, la vie quoi ! Merci pour ce blog.
Je suis moi même médecin généraliste …enfin j ai quitte le général pour l efs …bcp bcp plus facile….juste pour vous dire suite à cette histoire de Louis et sa maman Edith…n oubliez pas on est nous aussi +médecins) juste humains …ne culpabilisez pas trop (je sais c est très très difficile ) bisooooous
C’est vraiment appréciable quand un soignant agit de la sorte, vous avez fait de votre mieux et c’est admirable. Parfois, même avec la meilleure volonté du monde c’est difficile de soigner les petits. Mais c’est vrai que pour un parent c’est un vrai soulagement quand le soignant est compréhensif, c’est quand même très impressionnant et parfois douloureux les actes médicaux.
Je compatis fortement à la situation des parents célibataires (en majorité des mères en effet) mais il y a aussi beaucoup de parents non célibataires qui parlent mal à leurs enfants ou qui ne font pas beaucoup de cas de leurs ressentis. On n’en parle sûrement pas suffisamment mais sans tomber dans la non-éducation totale, on peut faire beaucoup pour plus de bienveillance et de respect et arrêter avec l’adultisme forcené. Mais ça prends du temps, de l’énergie et ça demande une perpétuelle remise en question… et bien sûr de l’amour.