L’Histoire c’est E. Sì vous souhaitez raconter, c’est ICI.
Alors voilà, au cours de ces derniers mois, elle a dû être hospitalisée deux fois. Des séjours de courte durée, certes, mais durant lesquels elle a vécu plus intensément. En même temps se mêlaient de la douleur, de la peur, de la fatigue, de la solitude, de la compassion, des sourires… Du partage, aussi… Pourtant, ce qui a fait exploser son petit cœur, c’est la nourriture de l’hôpital…
Elle avait beaucoup d’appréhensions par rapport à ce que les gens racontent. Pourtant, aujourd’hui, elle a du mal à comprendre cette aversion. Enfin si, elle pourrait l’entendre. Mais non. Je vous explique : si le premier repas n’est pas passé, le deuxième, en revanche… dès les premières bouchées de ce riz trop ferme qui s’agrège en petites boulettes dures, les sensations, les souvenirs, tout a refait surface. Elle est en primaire. Ses copains-copines se précipitent en direction des tables pour retourner les verres et voir l’âge qu’ils ont. Le plus jeune nettoiera la table après manger. On y verse l’eau au goût de javel, eau qui finira de toute manière renversée sur la toile cirée. Un camarade hurle, la bouche pleine de semoule, la projetant sur la table. Un autre avale, en guise d’entrée, le dentifrice donné par la campagne de prévention dentaire qui a eu lieu le matin même. ” Juste parce que c’est trop bon !” dit-il. Ailleurs, on essaie de piquer la cerise rose fluo dans la salade de fruits du voisin. On déguste le poisson trop cuit qui baigne dans la sauce au vieux goût de moules. Avec la langue, on pousse dans un grand sourire la mousse au chocolat entre les dents pour écœurer ses compagnons. Un autre s’y essaie avec le petit suisse. Une autre avec de la compote, compote qu’on mangera avec le pain à la croûte trop sèche. Et merde ! Il n’y a plus de pain !
Ce geste, elle se surprend à le refaire instinctivement des années plus tard, à l’hôpital, dans sa fausse Danette saveur vanille. À l’hôpital, la nourriture est la même qu’à la cantine. Le poisson pané-doré-fluo orange tout flasque, les mi-épinards, mi-crème. Les carottes vichy. La viande rouge trop cuite. Tous les repas pris à l’hôpital auront le même goût, celui de son enfance. Celui d’avant la maladie. Et pour rien au monde elle n’en laisserait une seule miette. Le lendemain midi, on lui apporte son plateau repas : lentilles molles et rondelles de saucisson desséchées. Une des internes qui passe se tourne vers elle et lui dit “Courage on mange la même chose que vous !”.
Et la patiente, dans sa tête : “Quelle chance vous avez !”
Elle a 16 ans, 18 ans, 37 ans, peu importe, les souvenirs n’ont pas d’âge, pas de barrière non plus, puisqu’ils viennent d’abattre un petit bout de sa maladie.
Elle sourit.
Elle est, enfin, prête à remanger.
l’hopital! La douleur, les insomnies mais aussi la tele autorisee (ce n’était pas permis chez mes parents). Je ne peux pas entendre ou voir le générique de Highlander sans avoir un petit souvenir, emu, de ce moment de paix entre 2 examens douloureux.
C’est surement pas Tim et sa cuisine-médecine préventive qui cuisine dans cet hôpital! J’espère que son bras va mieux. En tous les cas, pour cette dame, les souvenirs remontent, sont là et lui apportent des minutes de bien-être.
Ben franchement, la description de la cantine… Je suis heureuse d’y avoir échappé quand j’étais mouflette.
Encore que lorsque j’étais pionne, ceux qui cochonnaient la table ( et doublaient les tâches des dames de la cantine qui devaient en plus s’activer pour préparer le deuxième service) se retrouvaient à aider ces dames pour nettoyer dans la joie et la bonne humeur. C’était de bonne guerre et ça permettait de réfléchir un petit peu.
Cela dit, pour la bouffe de l’hôpital, telle que je l’ai pratiquée il y a peu – je veux dire que je fonçais chez le traiteur, désespérée de faire manger un petit quelque chose à ma mère, j’ai des doutes. En plus, le personnel qui met le plateau hors de portée des personnes âgées, le cuistot qui concocte des plats impossibles à mâcher pour les personnes avec des dentiers – quand l’infirmière distraite n’a pas laissé les dentiers en question dans la salle d’eau, encore hors de portée pour une personne coincée dans le lit et qui ne peut se lever… Oui, j’ai des doutes. Comment font les gens qui n’ont personne pour veiller à ce confort ?
Mais d’un autre côté, si cette bouffe “pas comestible” a réveillé des souvenirs joyeux, que dire ? La joie de vivre peut se nicher dans des coins invraisemblables. Alors….
La cantine c’était aussi les frites du jeudi, les meilleures au monde, je me referais bien un jeudi midi d’internat, je n’en ai jamais mangé d’aussi bonnes. Et le Fontainebleau (fromage blanc battu), le pain de viande (jamais compris avec quoi c’était fait mais super bon), les oeufs sauce aurore (demi oeufs durs nappés de béchamel tomatée, simple et délicieux) , le Vinifruit en sachet du goûter (confiture de raisin blanc) , les pâtes de fruits au goûter aussi, les odeurs délicieuses qui montaient des cuisines le jeudi matin en salle d’étude, ah! le nez dans le Lagarde et Michard et l’odeur des frites! C’était le bonheur. c’était le lycée de jeunes filles de Mont de Marsan.
Il faudrait sûrement se mettre en tête que l’hôpital n’est pas un restaurant gastronomique et que l’on ne s’y trouve pas pour faire des dégustations…Durant mon relativement long séjour, j’avais bien autre chose en tête Que le bien être de mon estomac, j’étais nourrie, voilà mais je comprends tout à fait le petit “bonheur” qu’a revécu durant un moment au milieu d’autres plus douloureux la dame de ton histoire, Baptiste. Je retrouve encore cette fois l’immense bonheur de te lire et merci merci encore.
Je t’embrasse
Ben oui mais en même temps, quand on est à l’hôpital, c’est qu’on a un problème de santé, et le premier garant d’une bonne santé… c’est l’alimentation. Du coup y a quand même un truc contradictoire quoi (j’ai bien conscience que les budgets étant ce qu’ils sont…).
Perso j’ai été élevée à la nourriture la plus saine possible. Quasiment pas de viande, le plus possible de trucs bio ou presque (venant de petits producteurs ne foutant pas des tonnes de merdes sur leurs fruits et légumes), céréales complètes, sucre de canne non raffiné, sel marin non raffiné non plus… Ben à presque 30 ans, dont 10 ans d’héroïne, 15 de tabac et entre les deux de drogues diverses et variées, sans compter la vie à la rue, le brossage de dents même pas une fois par mois, tout ça, n’empêche que je suis jamais allée à l’hôpital, je n’ai jamais eu de caries dentaires, je n’ai presque jamais été malade, hormis la varicelle a 15 ans et des rhumes et grippes même pas une fois par an. Et oui, je pense que l’alimentation y a joué pour beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Il faut lire les livres du docteurs Kousmine qui a soigné des gens gravement malades (cancers, scléroses en plaques) juste en les faisant changer d’alimentation. D’ailleurs une de mes voisine, médecin elle aussi, a soigné et guéri son cancer comme ça.
Et quand j’y pense, vu comme je suis devenue difficile question bouffe, je serais bien embêtée si je me retrouvais à l’hosto. D’autant plus que je suis végétalienne. Alors déjà ma mère qui ne mange pas de viande mais qui mange du poisson, quand elle était à l’hôpital, les gens étaient super embêtés parce qu’ils savaient pas quoi lui servir les jours où y avait pas de poisson (elle avait à chaque fois droit à une omelette immangeable qu’elle n’a jamais mangée), j’imagine le désarroi face à une alimentation vegan…
Encore que ma mère a aussi été en service pour diabétiques, et là les repas étaient un peu plus potables. Hormis le petit déjeuner qui était une hérésie totale (le même que pour les autres gens, le sucre en moins : donc café sans sucre, et pain blanc beurré, rien de tel pour faire exploser la glycémie). Heureusement que j’étais là pour lui ramener fruits, yaourts, amandes et céréales à moudre…
Eh bien moi c’est le contraire ! Lors de mon premier séjour à la maternité, j’appréhendais les repas car je ne suis pas fan de restauration collective (j’ai si rarement mangé à la cantine étant petite que c’était une fête, peu importe ce qu’on y servait, mais maintenant, je mange tous les jours à la cantine de la fac, et le moins que je puisse dire, c’est que je me demande si celui qui a décidé de baptiser ça “restaurant universitaire” y a déjà mangé…). Et en fait c’était très bon ! Et moi qui ne supportais pas l’odeur de la cannelle pendant ma grossesse, le lendemain de la naissance de mon fils je me suis régalée avec une crème dessert au Spéculos. Et depuis, chaque fois que je sens cette odeur ou que je mange un Spéculos, je retourne 8 ans en arrière dans cette petite chambre où mon bébé et moi nous découvrions, et je suis heureuse. Vraiment !
Vive Proust ! (et Baptiste)
je suis une mamie avec des souvenirs de “faim”…nous étions nombreux autour de la table familiale, le salaire du père maçon était ponctionné par ses nombreux passages au bistrot, et nous avons dû rouler des tickets pour les foires durant de nombreuses années….juste pour manger…et parfois, c’était très dur…..
jusqu’à mes 15 ans, où j’ai eu la chance de pouvoir devenir interne dans un petit collège….et là, j’ai eu une impression d’abondance…d’abondance monstrueuse, d’abondance tellement énorme que j’ai pris 15 kgs la première année…..à chaque repas , c’était bombance…mes camarades levaient le nez sur la plupart des plats et moi je mangeais, ma part, la leur et celles des tables à côté…..le jambon, la viande , les légumes, le fromage, les desserts lactés….tout était nouveau….j’ai commencé à faire des réserves de fromage (vache qui rigole ! lol) pour pouvoir en rapporter à la maison durant les week end…..les pâtes de fruits, les barres de chocolat, tout ce qui était emballé était caché dans ma valise…
un joyeux bordel que ma petite soeur récupérait écrasé au fond de mon sac…
J”ai gardé la “valeur” de la nourriture et même à l’hôpital, je mange stoïquement ce qui m’est proposé…même si ce n’est pas de la haute gastronomie, les plats proposés auraient été délicieux à la petite fille que j’ai été ….
merci pour vos écrits … pour votre humanité !
J’aime beaucoup votre témoignage et ces souvenirs si bien évoqués!
Bonjour Bibi,
La nourriture des hopitaux ressemble effectivement à celle de nos cantines d’enfant. Et oui, c’est pas bon.
Mais, en y réflechissant bien, vaut-il mieux bien manger ou bien se faire soigner, bien manger ou bien apprendre ?
Perso, quand je veux bien manger, je vais au restaurant.
La bise
Plusieurs fois j’ai dû rester à l’hôpital, pour des raisons sérieuses (j’attends d’en avoir de drôles).
Je me sentais prise en charge, sécurisée par le travail de toute l’équipe, j’avais confiance en eux et j’avais raison. Je me sentais privilégiée d’être servie dans ma chambre, un plateau repas juste pour moi, là encore on s’occupait de moi. Quel luxe ! Alors, j’étais juste très reconnaissante que d’autres se soient occupés pour moi de faire les courses, préparer, cuire, servir un repas qui ne me coûtait aucun effort.
Je ne me souviens pas des goûts, je me souviens que je n’y attachais aucune importance, j’étais là pour autre chose, mais que j’avais du plaisir à manger parce qu’on l’avait fait pour moi.
Merci, c’est tout ce que j’ai à dire, merci.
Eh bien je ne sais pas si l’hôpital d’Annecy est une exception, mais moi, globalement, j’ai trouvé plutôt bon ce qu’on m’a servi pendant mes hospitalisations, à part quelques plats de viande ou de légumes qui baignaient un peu dans leur jus, mais rarement.
Et la belle photo de l’article m’évoque l’écume des jours de Boris Vian
Raaaaah… les épinards de la cantine scolaire ! Cette texture mi-purée mi-soupe. Tellement bon et impossible à retrouver !
Les souvenirs gustatifs sont assez proches des souvenirs olfactifs finalement. J’ai l’impression qu’ils provoquent pas mal d’émotions.
Ne seraient-ce pas l’émotion et la nostalgie qui aident cette femme à guérir ? Comme Baptiste le dit si bien: les souvenirs ont abattu un petit bout de sa maladie. C’est juste, vrai, et beau.
— Tu t’es lavé les mains avant de manger ?
— Tiens toi droit !
— Mets pas les coudes sur la table !
— Mets tes mains sur la table !
— Pousse avec du pain !
— Finis ton assiette !
— Tu pourras sauter de table quand t’auras fini ton pain !
— On dit “s’il te plait”
— On réclame pas à table !
— Les enfants parlent pas à table !
— Tu pourras sauter de table quand tu auras plié ta serviette !
— Mon père nous mettait des planches dans le dos pour qu’on se tienne droit …
— Fais pas de bruit en mangeant !
J’en oublie. Sur que j’en oublie ! Voilà pourquoi je ne mange pas vraiment, sauf exceptions. Je me nourris. A part ces souvenirs et cette “éducation”, j’ai retiré des choses de la table une horreur de ceux qui “jouent avec la nourriture”. Ceux qui font des trucs avec le manger. Ou lancent des petits suisses dans le réfectoire, qui jettent du pain, de tout. J’ai parfois eu très faim sans avoir accès à de la nourriture. J’ai aussi été en face de trop de nourriture et c’est à ce moment que j’ai été gêné. Toujours. Un jour à Tanger, l’ami qui m’accueillait avait oublié de me dire que j’étais invité le soir même à manger chez lui. A la marocaine. Nous étions “grands”, tous; c’est-à-dire que nous n’avions aucun problème pour nous nourrir abondamment. J’étais à l’hôtel quand j’ai reçu son coup de téléphone me précisant l’heure de notre rendez-vous, à l’autre bout de la ville. J’étais en train de lire, tranquillement, après avoir passé un moment à la piscine puis au restaurant. Et bien, oui, j’avais mangé. Et le repas du soir était vraiment bon, amical et abondant… “On jette pas la nourriture” disait l’ectoplasme paternel depuis son purgatoire… Une anecdote pleine de sel !…
Je n’ai pas eue l’éducation du pain, des mains sur le pain et du signe de croix qu’on fait dessous avec le couteau, avant de l’entamer. De la confiture faite en chaudron, avec sa mère ou sa grand-mère. De ce repas qui rassemble et unit, des anecdotes au dessert… et plein d’autres choses de la table. Je me nourris. Après avoir écossé les fèves et les haricots. Equeuté les haricots verts qu’on ne mange pratiquement plus qu’en boîte, triés par tendresse, comme des esclaves. J’ai trié les lentilles. C’est à dire enlevé les micro-cailloux mêlés aux graines. Chacun avait un petit tas à trier. Et il y avait des remarques, autour du plan de travail : “t’as vu ce qu’ils laissent ? quand même ! un vrai rocher…”. Avec un morceau de viande dans un fait-tout, un oignon et des feuilles,herbes, poivre grain, sel gros… Ma mère racontait sa grand-mère… Et c’était bon, à cette époque. Avant l’émigration et les “– Tiens toi bien !” européens. J’ai avalé tout ce qui pouvait contenir “du manger”, c’est à dire couper la faim et faire fonctionner le corps comme une machine à vapeur. Je n’en dirais rien, pour pas faire du mal aux foies sensibles…
Bref, la cuisine d’hôpital était nourrissante à minima. Même à l’hôpital militaire où l’on s’évertue de garder en forme les hommes qui pourront rentrer au quartier et, éventuellement, se faire massacrer ailleurs. On a le culte de la conservation du matériel, dans cette corpo là. Donc, pas de soucis hospitalier. Sauf quand j’ai du “manger lisse”, à une ou deux occasions. Là, t’as la curieuse impression d’avoir été puni injustement. Mais c’est pas grave…
Voilà pour çà. Encore décalé, le garçon, hein? Ben ouais. Désolé. A plus.
J’avais jamais envisagé la bouffe de l’hôpital sous cet angle… rappel des souvenirs de cantine. Faut dire que pour le gamin un tantinet asocial que j’étais, la cantine n’est pas un super souvenir.
J’ai toujours été éduqué à manger ce qu’on mettait dans mon assiette, et sans ronchonner . Famille de paysans, hors de question de jeter de la nourriture parce que 1) il y a des gens qui crèvent la dalle dans ce bas monde et 2) il y a un paysan qui s’est crevé le c*l à faire pousser/élever ce que tu manges, donc tu finis ton assiette.
Ca m’a bien servi pour l’hosto ou en effet la bouffe est quand même calamiteuse (je veux bien comprendre qu’il y aie des règles d’hygiène, mais tout de même ? des escalopes de dindes bouillies ? Le cancer ne m’a pas eu, mais j’ai failli étouffer plusieurs fois). Et de toutes façons vu la faim que j’avais et les 15 kilos que m’ont fait perdre la chimio, je mangeais tout jusqu’au bout.
Cependant j’ai vu trop de voisins de chambre bouder leur plateau parce qu’ils étaient écoeurés par leur traitement et que ça ne leur donnait vraiment, VRAIMENT pas envie de manger ce truc infâme. Et je pense que ça ne les aura pas aidés à guérir, hélas.
D’ailleurs j’aimerais savoir d’ou sortent les diététiciens d’hôpital pour continuer à signer des menus qui contiennent toujours du pain blanc et de la viande à tous les repas… ça fait tout de même quelques années qu’on sait que c’est tout sauf idéal !
J’ai eu l’occasion de goûter les plats sous plastique du CHU de Caen quand ma mère y était, c’était pas engageant d’aspect et le goût était assez mauvais.
Je veux bien que l’hôpital ne soit pas un restaurant mais pour quelque chose qui me semble tout à indispensable au rétablissement des patients (non ?) c’est dommage de ne pas avoir quelque chose de mieux.
Résultat, ma mère ne mangeait pas ses plats mais faisait razzia de ses paquets de gâteaux…
Je me souviens très bien de mon premier yaourt à l’abricot après 5 jours perfusee s1ns manger ni boire suite à une urgence vitale … C’est fou comme cela comme cela avait un goût de vie !
Quelle belle histoire ! Merci beaucoup
Le jour où les aides soignantes sont revenues chercher mon canard à l’orange quasiment intact parce que les effets de l’anesthésie flinguent mon système digestif… Dommage : j’adore le canard à l’orange !