Alors voilà, l’autre jour je fais entrer une patiente, elle a 22 ans, assez pimpante.
« Bonjour je viens pour un vaccin » dit-elle.
Elle s’installe sur la table d’examen, relève sa manche, dégage le muscle deltoïde et attend que je prépare le vaccin (vous savez, on purge la seringue de ses petites bulles d’air).
Elle sourit tellement en me tendant le vaccin, on a l’impression qu’elle veut que je compte ses dents.
D’ailleurs, je ne m’aperçois même pas qu’elle tremble de la tête aux pieds. C’est seulement quand je m’approche avec la seringue et l’aiguille que son sourire se fracasse. Elle a peur. Elle a peur de l’aiguille ET de moi qui tient l’aiguille. Moi qui, bêtement, comme un perroquet, parce que j’ai parfois l’habitude de dire ça et que c’est terrible ça, l’habitude (et les petites phrases toutes faites aussi), je la regarde et, pensant la rassurer, j’ânonne cette phrase toute faite qu’on pourrait dire aux enfants :
« Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal ».
Eh bien à ce moment-là, et je ne la remercierai jamais assez pour cela, elle m’a regardé droit dans les yeux et elle a dit
« Ben si Docteur, ça fait mal ! ».
Elle a raison : évidemment que ça fait mal. Alors ce n’est pas un accouchement non plus, hein, mais oui, même quand c’est bien fait, un vaccin ça reste une aiguille qui va injecter deux ml de liquide dans un muscle.
Chaque patient est différent et la médecine du bon sens c’est aussi cela : s’adapter à chacun parce qu’il est unique, et apprendre à se défaire des petites phrases toutes faites.
Ce jour-là cette patiente a besoin que je lui dise que oui, sa peur n’est pas sans motif, et que oui, ça n’est pas agréable.
« Vous avez raison, ça fait mal » je lui dis.
Elle hoche la tête, contente que je ne minimise pas son ressenti, puis se remet à sourire comme si elle voulait que je compte ses dents et je peux vacciner sans problème.
Eh bien vous savez quoi ?
Elle avait 32 dents. Je le sais, j’ai pu compter.
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Je serai samedi à 14h45 au salon du livre de Paris pour une conférence avec Martin Winckler portant sur nos romans et le soin, puis en dédicace à 16h au stand du Livre de Poche.
Je serai aussi au salon du livre de Montaigu et Villeneuve sur Lot !
J’espère vous y voir nombreuses et nombreux !
Quand j’étais petit et malade en voiture, mon papa disait souvent : “On est arrivés” alors qu’il voulait dire “on est presque arrivé, plus que 10 minutes si tout va bien”. Et je lui en veux encore pour ces mille fois 10 minutes de mal au cœur.
J’ai mis du temps à comprendre que ces petites phrases ne sont pas des mensonges mais des incantations.
Je coris avoir été un jour la patente qui oblige son médecin à se remettre en question et à se défaire de certains comportements ancrés et habituels, mais qui ne conviennent pas à tous.
“- Pourquoi m’envoyez vous faire tel examen plutôt que tel autre ? Je viens d’emménager je suis une nouvelle patiente pour vous.
Sachez que si je suis là, c’est qu’a priori je vous fais confiance, mais j’ai besoin que vous m’expliquiez le processus de soin dans son ensemble pour pouvoir me l’approprier, avoir le sentiment d’être partie prenante dans mes soins et ne pas me sentir comme un bout de viande que l’on manipule à sa guise en l’envoyant ici ou ailleurs passer tel ou tel examen, sans jamais rien lui expliquer.”
Stupeur dans son regard, il pose son stylo sur son sous-main, appuie son dos sur le dossier de son fauteuil, et me dit : “vous avez raison”.
Depuis cet événement, il a intégré dans son approche envers moi ce besoin de compréhension qui me caractérise et trouve toujours le temps nécessaire pour m’expliquer ce qui m’attend.
Nos médecins ne sont pas des surhommes, ils n’ont pas le pouvoir de nous comprendre si nous n’expliquons notre mal-être, notre ressenti, ou nos besoins,mais Dieu merci ils ont pour une très grande part d’entre eux, l’intellignce, et la sensibilité nécessaire pour s’adapter à nos demandes si nous les formulons clairement.
N’oublions pas que nous aussi patients, avons un rôle non négligeable à jouer dans le bon déroulé de nos consultations que ce soit auprès de notre médecin de famille ou auprès d’un autre que nous ne verrons qu’une fois.
Tellement d’accord avec vous ! Et c’est vrai pour toutes les relations humaines (amour, amitié, travail, etc.). Il ne faut jamais attendre de l’autre qu’il devine, il faut lui dire et s’assurer qu’il a compris ! Et le reste suivra 🙂
Mon plus grand défaut est là …..
Bien vu Big Girl du 74 ! Une situation relationnelle frustrante est rarement le fait d’un seul des protagonistes .
Il revient à chacun.e. d’exprimer ses besoins sans attendre que l’autre devine .
Et bien sûr, être prêt à accepter la liberté de l’autre de satisfaire la demande, ou pas !
En cas de refus, demander 3 fois avant de baisser les bras : c’est ce que j’ai appris ,sur un tard, et souvent ,ça marche !
les enfants le savent bien et ne s’en privent pas .
Je fais partie de celles et ceux à qui on interdisait de demander quoi que ce soit (au nom d’une certaine bienséance, de mise à l’époque), alors demander 3 fois, c’est tout un programme ! Mais quand je suis en forme, j’en fais un jeu, un défi où j’ai l’impression de me respecter, même en cas de refus !
Très bonne soirée
Margueline
Bonjour Baptiste,
En lisant ton post, je me revois avec mes deux enfants pour les séances obligatoires de vaccinations. À chaque fois, je les rassurais en leur disant que c’était juste une petite piqûre et que ça ne durait pas trop longtemps. Et puis, il y a quelques mois, j’ai vu une vidéo magique : un médecin qui par ses mimiques, ses vocalises, détournait l’attention du bébé de la seringue, le relaxait en attirant son regard sur son visage et hop ! La piqûre a été faite sans pleurs, ni cris mais avec un bébé calme et souriant. Tu devrais trouver quelque chose de similaire pour tes patients craintifs et hypersensible sensibles aux piqûres. Je suis sûre que tu arriveras à les détendre.
Ma Mère 96 ans qui exprime « j ai peur »: de tomber, de la piqure. Je sais maintenant ce qu il faut lui répondre: je sais que tu as peur et c est normal d avoir peur. Je te tiens bien pour que tu ne tombes pas …. la piqûre va durer quelques secondes et je reste là à tes côtés….
96 ans, 2ans, 8 ans, 10, 20, 40, 60, 100 ans: ne jamais dire c est rien quand un être dit « j ai peur d avoir mal ». Quand on a compris ça, l humanité se relève.
Merci Baptiste
magnifique!
Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée c’est d’avoir une pensée toute faite.
Charles Peguy
Et pourtant quand on aime on ne compte pas mdr Je plaisante Baptiste ; ) Moi en tout cas je compte bien vous lire encore très très longtemps jusqu’à quand je serai très très vieille !!! Merci pour ce beau témoignage ; )
Étudiante infirmière il y a quelques années, en stage dans un service de soins intensifs, je dois faire à la demande du médecin une gazométrie (un prélèvement de sang dans l’artère du poignet) pour une patiente avant de pouvoir la laisser rentrer dans son ehpad. J’ai la pression : j’ai déjà fait des gazométries, je maitrise à peu près le geste, mais là, le médecin exige sa prise de sang dans l’instant alors qu’on s’apprête à faire les transmissions, que c’est un geste réputé douloureux, et que c’est une patiente démente, connue pour pouvoir être agressive. J’y vais en demandant de l’aide à une collègue infirmière. Je préviens la patiente, repère son artère, plante l’aiguille et là, rien. Je tripote un peu l’aiguille, la dame commence à crier, j’essaye de la rassurer comme on le fait tous à un moment ou l’autre “Ça ne fait pas mal, c’est presque fini…”. Mais rien à faire, plus je bouge l’aiguille, plus elle s’agite et crie, plus je nie son ressenti, plus ma collègue la tient, plus j’ai peur que la patiente se blesse ou nous frappe, et moins le sang monte, contrairement à mon stress. Jusqu’au moment où elle hurle “C’est un scandale de faire aussi mal aux gens !”. Là, ça m’a débloquée. J’ai arrêté de bouger l’aiguille, je l’ai regardée droit dans les yeux et je lui ai dit “Vous avez raison. Ça n’est pas normal d’être obligée d’avoir mal pour être soignée, ça devrait pouvoir se faire autrement”. Le résultat a été spectaculaire : le sang n’est pas monté dans cette put*** d’aiguille, mais la patiente s’est calmée instantanément. Et moi, j’ai arrêté mon soin et l’ai remerciée de sa patience – pile au moment où le médecin arrivait en disant qu’il demanderait à une “vraie” infirmière de faire la gazométrie plus tard… Depuis ce jour-là, je crois que je n’ai plus jamais dit à quelqu’un “Ça ne fait pas mal”. Les trois-quarts des soins que je pratique, je ne les ai jamais subis, et en effet, on est tous différents face à la douleur. On peut dire à un patient que le geste n’est pas agréable, ou qu’on n’en sait rien, et qu’il a le droit d’avoir mal, même si on va tout faire pour l’éviter. Je suis diplômée depuis deux ans, j’ai parfois fait des soins tellement douloureux que je pleurais sur la personne en les faisant, mais – et j’espère continuer longtemps – je n’ai jamais nié la souffrance des personnes. Et je remercie cette patiente de l’hôpital, qui m’a renvoyé en pleine figure que la douleur de l’autre, on ne la comprend jamais, et que cette incompréhension oblige à l’humilité.
Votre honnêteté et votre conscience professionnelle font de votre message un très beau témoignage Merci Littlered.
Merci pour votre témoignage, ça fait tellement du bien de voir des soignants prendre en considération le ressenti des patients !
je voudrai néanmoins rendre hommage à plusieurs infirmières qui au cours de ma vie m’ont piqué (dans la fesse, ou la peau de l’épaule ou dans une veine) sans même que je ne ressente le “piquant” de l’aiguille.
Je ne parle pas de la fois où je n’étais pas en état de sentir évidemment.
Bravo Mesdames
Oui, il est bien dommage qu’on ne nous enseigne pas le langage hypnotique à la fac de médecine… Le cerveau n’entend pas la négation… Quand on lui dit “ne vous inquiétez pas” il entend “inquiétez”… Quand on lui dit “ça ne fait pas mal ” il retient “mal”.
Préférons donc toujours les formules positives telles que “rassurez-vous”, “tranquillisez-vous” ou “oui ça va piquer, pendant une ou deux secondes, puis c’est fini”
Beaucoup à apprendre de Milton Erickson..
En effet, je pense que la communication thérapeutique est importante dans la relation soignant-soigné. Cela fait partie du prendre soin. Comme la pose de patch de Lidocaïne avant les soins invasifs (comme la gazométrie par exemple…)
ça me rappelle tous les gens qui me sortent quand je suis en face d’une araignée pas belle (et que forcément je hurle comme un putois) cette phrase toute faite et oh combien inutile et agaçante : Mais c’est pas la ptite bête qui va manger la groooooosse….
Ah. Je ne savais pas que la dangerosité d’une chose se mesurait à la taille. Les bactéries qui vous bouffent de l’intérieur de l’ordre du nanomètre ? Les asticots quand on passe l’arme à gauche ? Et autre joyeusetés minuscules qui, SI, mangent plus gros qu’eux ?
Merci Docteur d’avoir pris en compte la peur de cette patiente, sans la moquer ou la nier totalement.
Lorsque mon fils était petit, j’avais dû l’amener chez un médecin pour un vaccin. Tendu et appeuré face à la seringue, le médecin lui dit «Mais ça ne fait pas mal» et mon fils, se tournant vers moi me déclare : «Il dit que ça ne fait pas mal, mais moi je sais que ça fait mal ! ». Le medecinr de l’a même pas rassuré…
J’essaie de ne plus avoir ce genre de phrases qui minimisent le ressenti de la douleur des autres. Le déclic ça a été le jour où je me suis cognée le petit orteil dans une porte et mon fils de 3 ans a tenté de m’apaiser avec les mots que j’avais l’habitude de lui dire en pareille occasion : “C’est rien, maman, c’est pas grave”.
Une seconde, j’ai eu une bouffée d’énervement : “C’est PAS rien! J’AI MAL!!”
Un jour 2 gentilles infirmières ont voulu me faire une gazométrie, me prévenant que c’était un peu douloureux, sans succès hélas, mon pauvre poignet était rebelle. En désespoir de cause, elles ont décidé de piquer dans l’aine ” ce ne sera pas agréable madame ” bel euphémisme, c’était franchement horrible, mais pour ne pas les décevoir, j’ai serré les dents ( et le reste ) elles sont reparties satisfaites avec mon sang, et avec le sourire, et aussi sans doute avec le soulagement d’avoir réussi. Et moi ? et bien que voulez-vous, j’étais contente pour elles, mes cris n’auraient pas facilité les choses, petite victoire sur moi-même.
coucou Bibi
j’ai (trop) longtemps dit “ça ne va pas faire mal”, et comme tu le dis : ce n’est pas un accouchement non plus, et cette petite douleur devrait être supportable ;
Et parce que l’expérience m’a appris que chacun peut réagir différemment, j’ai changé mon fusil d’épaule.
Quand je dois piquer un enfant- ou un adulte anxieux – je dis
t’es déjà tombé à vélo ? (forcément oui ! )
avec une belle grimace j’ajoute : ça fait mal hein ? (forcément oui)
et là maintenant, ça va ? (forcément oui !)
ben tu vois ma piqure, ben elle va te faire MOINS mal, BEAUCOUUUUUP MOINS !!! que ta chute à vélo…. la seule différence, c’est que tu SAIS que tu vas être piqué, alors que tu ne savais pas que tu allais tomber de vélo …
allez maintenant ! raconte moi ton plus gros gadin 🙂
bon OK, ça ne marche pas à tous les coups , surtout maintenant avec les gamins game-boy/écran/ordi, que je me demande s’ils savent faire du vélo !!!
ps @ Bibi himself : on je purge JAMAIS une seringue pré-remplie !!!
la (toute petite) bulle de gaz sert à injecter la totalité du contenant de la seringue – à condition de la positionner entre le produit et le piston of course :)))
des biz
co
Dans l’hôpital où je suis soignée on ne m’a jamais dit que ça n’allait pas faire mal mais au contraire on m’expliquait le processus de la douleur que j’allais ressentir.
Bonjour Baptiste et merci d’être ce que tu es, un frère en Humanité !
J’ai besoin de toi, de tes chroniques, de ton souffle de fraternité.
Je t’embrasse très fort
Mathilde
Pour les vaccins, notre généraliste pratique une sorte d’hypnose : elle dit clairement à l’enfant concerné ce qui va se passer et si ça va faire “un petit pic” (liquide non douloureux) ou “ça pique et tu ne bougeras pas parce que je vais pousser très très très lentement la seringue pour tu ne sentes pas le liquide de la piqûre” (liquide dont l’injection cause une sensation de brûlure ou de la douleur). Ensuite, elle parle avec l’enfant, tout simplement, elle fait raconter un bon souvenir de vacances (pour mes aînées, qui sont plus grandes) ou demande “quel est ton super-héro préféré ?” (le plus petit), et puis elle se débrouille pour que l’enfant s’imagine quelque chose d’agréable. A aucun moment elle ne nie ce qu’elle fait, mais ils sont tellement détendus que tout se passe super-bien.
Mes souvenirs de piqüres…
En rang dans la cour et le préhaut de l’école primaire… et cette cicatrice que nous avons (tous?) à l’épaule. Première sensation d’appartenir à une Société aveugle et piquante qu’on ne comprend pas.
Re-jeu avec l’injection d’une dose remarquable d’un liquide jaune pisseux dense comme de l’huile de vidange faite par un infirmier militaire improbable. Deux jours de paillasse personnelle au dortoir et huit jours de petite fièvre de courtoisie pendant les parcours du combattant. Et ces stigmates sur un livret de santé T, A, B, D, T. avec la date d’un jour puisée dans l’autre siècle.
Piqüres régulières infligées à ma fille-dernier-modèle pour cause d’asthme plus allergies. Le cœur serré en emmenant le petit bout à son supplice voir le “Docteur Abeille” à Sarus ou à son cabinet. Mouchette a été brave et courageuse, tant attentionnée à réconforter son père sensible comme tout.
Les autres, les courantes, les évènementielles et les résidus de commandes surdimentionnées de notre Ministre de la Santé influencée par l’OMC… j’ai un vague souvenir dont les noms ont pu être H1N1, hépatite C et autres dingues… et les prises de sang rituelles. TOUTES m’ont fait mal avant l’injection, pas souvent pendant, rarement après sauf indiquées. Le plus désagréable restant le cathéter. Rampant à souhait dans le vaisseau à l’insu de tous, sournois vingt quatre heures par jour, complice des pires transits liquides venus d’en haut, manipulateur fat, le cathéter est une honte. Un défi à la dignité du membre dans lequel il est planté. Le péage en sous traitance impromptue pour l’accès au soin. Une pute intermédiaire, en somme. Exigent la qualification d’infirmière pour être dirigé, rémora monstrueux sur “montrez-moi votre veine” (tap tap, deux doigts pour faire gonfler la belle bleue…) le pli du coude… “j’aurais pu le mettre un peu plus bas” … “çà vous gène pas?” … et si tu as envie de pisser, tu utiliseras ton autre main apprentie en la matière quitte à en mettre un peu dans tes chaussons. Ah, oui, voilà motif à rigolade ! Oui, la piqüre peut être douloureuse et pénible. Mais voilà le dialogue universel chouia théâtral:
l’IDE, gentille comme tout :
— voilà Monsieur Cruchant; c’est fini. çà va ?”
l’Autre, grimaçant in peto :
— oui oui. Merci beaucoup…” en pensant “mais qu’est-ce que je fais là, moi? qu’est-ce que je fais là ???”
rideau.