Photographie : Benjamin Isidore Juveneton, Adieu et à demain
Auto-interview (à teneur garantie en auto-dérision) :
– Salut B. !
– Salut B.
– Tu me plais…
– Merci, tu n’es pas mal non plus.
[Moment troublant à forte tension sexuelle narcissique : B. passe sa langue sur sa lèvre supérieure. B., lui, redresse les épaules et fait une moue aguicheuse beaucoup trop provocante pour être décrite en détail.]
– Pourquoi as-tu créé ce blog ?
– Excellente question, B.
– Merci. Je suis sûr que j’aurai d’excellentes réponses…
– Pourquoi ce blog ? Tout simplement pour devenir une rock star, avoir du sexe facile, de la drogue à gogo et finir étouffé par mon vomi à l’âge de 33 ans dans les toilettes publiques du parc des Princes de Paris.
– C’est tout ?
– Oh, peut-être aussi parce que je voudrais réconcilier les gens avec le milieu médical.
– Tiens donc !
– Explique-toi ? Heu, explique-moi ! Enfin, explique-nous…
– J’en ai déjà parlé dans cet article.
– Hum… Très intéressant, mais dis-moi : pourquoi ce besoin de réconcilier les gens avec le milieu médical ? As-tu été malade un jour ?
– Ça, mon cher, cela me regarde. C’est mon secret.
– Je suis allé trop loin dans ma question ?
– Oui.
– De quoi veux-tu parler ?
– Du fonctionnement du blog.
– Vas-y.
– Alors voilà, je…
– Pardon, je t’interromps de nouveau, pourquoi ces mots : “Alors voilà” ?
– Je le raconte dans cette histoire…
– Très intéressant, mais tu n’y expliques pas pourquoi “Vraiment” à la fin ?
– Ça, c’est encore mon secret… Puis-je reprendre ? Je disais : je raconte les tranches de vie hospitalière (ou de cabinet de médecine libérale).
– De tes collègues internes ?
– Pas que ! Aides-soignants, médecins, infirmiers, chirurgiens, grands professeurs, peu importe ! Nous sommes une équipe. Il y a plus d’amour dans un massage abdominal que dans la prescription d’un laxatif. Il y a plus de miséricorde dans une couverture transformée à la va-vite en coussin que dans la prescription d’un somnifère. L’important, c’est le soin.
– Mon Dieu, que tu es sérieux tout à coup !
– C’est vrai, déridons tout ça, regarde : Pouêt-Pouêt !
– Donc les soignants te racontent ?
– C’est cela. Je suis un passeur d’histoires. Un docteur conteur… Je les écoute entre le fromage et le dessert. Souvent, ils me disent : je ne pense pas que cette histoire soit passionnante et, souvent, ils se trompent.
– Tu écris ?
– Tout. De A à Z. Les histoires des soignants et, aussi, celles des patients. Pour réconcilier deux parties il est nécessaire que les deux parties s’expriment. Regarde, j’en parlais dans cet article…
– Très bien, très bien… Sans transition : est-il vrai que tu ne fumes pas, ne bois pas d’alcool et ne manges pas de gluten ?
– C’est vrai.
– Mais comment t’amuses-tu alors ?
[Petit sourire en coin]
– À ton avis ? Que peut faire un homme qui ne fume pas, ne boit pas et ne mange pas de gluten ?
[Nouveau moment de forte tension sexuelle dans la pièce : B. enlève le haut. B., lui, enlève le bas. B. a un peu froid, ses tétons pointent].
– Revenons à nos moutons : le soin et mes chroniques.
– Très bien. N’as-tu pas peur de briser le secret médical en parlant des patients ?
– EXCELLENTE question ! Tu vois, quand tu veux ! Et la réponse est non. Tout simplement parce que je change les noms, les lieux, les âges et les sexes.
– Tu veux dire que les femmes qui accouchent dans tes récits sont en fait des hommes ?
– Exactement… La plupart des anecdotes ne me sont pas personnelles. Elles m’ont été offertes par des soignants. Ils veulent, aussi, montrer aux gens que nous sommes” nus sous nos blues” pour reprendre l’expression d’un de mes lecteurs que j’embrasse.
– Oui, mais n’as-tu pas peur que les patients se reconnaissent ? Par exemple, dans ce post de la pilule prise par le mari ou cette jeune fille enceinte qui nourrissait son bébé par son vagin, n’as-tu pas peur que les protagonistes sachent que tu parles d’eux ?
– Bien sûr que non ! Pour la raison suivante : souvent mes collègues viennent à moi en disant “écoute cette histoire, elle est super, très drôle, ou très triste, ou les deux à la fois ! ” Hélas, ce ne sont pas des faits uniques ! J’entends par là que ce couple, ou cette jeune fille, ne sont pas des cas particuliers. Je reçois de nombreux mails d’amis des quatre coins de la France qui racontent les mêmes histoires.
– Oh mon Dieu !
– Comme tu dis…
[ Pause, B. se mouche et remet le mouchoir humide dans la poche de B.]
– Est-il vrai que tu proposes à des artistes d’illustrer tes textes ?
– Tout à fait. D’ailleurs, c’est un des aspects de ce site dont je suis le plus fier. Pour les gens que cela intéresse, c’est expliqué là.
– Est-il vrai que tu tiens une tribune hebdomadaire dans le Huffington Post ?
– Mon site a pour vocation une réconciliation. Je ne peux pas y exprimer mes avis strictement personnels. Heureusement, le Huffington me permet aussi de pousser mes coups de gueule. Ici, par exemple, et ici.
– On m’a dit que tu avais écrit un livre. Sort-il bientôt ?
– Nous pourrons l’offrir à la famille pour Noël !
[Soupir de soulagement de B. qui déteste la corvée des cadeaux et la délègue toujours à ses sœurs.]
– Est-ce que tu montreras ton visage, quand le livre sortira ?
– Oui. J’avais le choix de le montrer ou pas. J’ai décidé de le faire. Pour des raisons intimes.
– Elles sont liées à ton secret ? À la raison pour laquelle tu veux réconcilier les gens avec le milieu médical ?
– Tu as tout compris. On ne peux rien te cacher, B., mais tu poses encore une question de ce genre et je quitte le plateau plus vite que Christophe Hondelatte chez Ruquier.
– Tu ne peux pas, B. : je suis dans ta tête.
– C’est vrai.
– Il paraît que tu veux ouvrir un dispensaire à Pondichéry. Un lieu d’accueil et de soins primaires pour les prostituées.
– Je suis content que tu en parles. Avec le temps et le succès, les motivations peuvent s’émousser. Là, au moins, mes lecteurs sont au courant. Je ne pourrai donc pas faire autrement. Je construirai ce dispensaire puisque je m’y engage devant eux… Soit je crée une structure ex-nihilo, soit j’aide une structure déjà présente à se développer. Peu importe dans combien de temps (je veux voyager après mon internat…) : je le ferai, question d’honneur.
– Tu utilises donc tes lecteurs comme un piège à loup moral ?
– Tout à fait.
– C’est un peu mélodramatique, B.
– Tu me connais, nous ne sommes pas autrement dans la vie que mélodramatiques…
– Pourquoi cette ville et pourquoi les prostituées ?
– Cela me regarde. Je vous en parlerai plus tard…
– Comment vois-tu cet endroit ?
– Idéalement ? Ce serait une ambassade pour les femmes qui vendent leur corps. Pondichéry est une des plaques tournantes de la prostitution en Inde. Il y a du boulot, je pense. Pour l’instant mon idée n’est qu’un vague projet, mais je vois cela comme une grande maison où elles seront accueillies, soignées et nourries. On ne leur pose pas de question, on se garde bien de leur faire la moindre morale, elles viennent et partent quand elles veulent. Une ambassade pour des Reines.
– Qui les soignera ?
– À ton avis ? A quoi peut bien servir d’être lu par des internes, des aides-soignants et des infirmières si ce n’est pour les faire trimer un peu !
– Tu veux dire que tu solliciterais tes lecteurs issus du milieu médical pour assurer là-bas des missions de courte durée ? À titre bénévole ?
– Tu as tout compris ! Ils viennent, visitent cette ville sublime et prennent un peu de leur temps pour donner un coup de pouce. Je précise le plus important : ce sera dans un cadre apolitique, strictement non confessionnel et laïque.
– Une dernière question ?
– Oui ?
– Aimes-tu l’être humain ?
– Mieux que ça : je le défends.
– Et tu comptes le défendre longtemps ?
– Laissons le mot de la fin au vieux Sénèque : “Tant que nous sommes parmi les Hommes, pratiquons l’humanité”. Tu sais quoi, B. ? Je crois que le vieux a putainement raison !
Fin de l’interview, B. se serre la main, s’attrape par la taille, effleure ses lèvres, et dans un affolant moment de schizophrénie intime murmure à son oreille “Je est un autre”.