Photographie B.I. Juveneton : http://adieu-et-a-demain.fr/
L’autre nuit, calme plat aux Urgences. Je reçois un nouveau mail m’expliquant, je cite, que mon site n’est qu’un “ramassis de sensiblerie”.
En ce moment, je prépare ma soutenance de thèse (croyez-moi, il n’y a rien au monde de plus hargneux qu’un thésard en médecine. À part, peut-être, Vladimir Poutine privé de vodka…)
Il était tard, j’ai relu le mail, retroussé mes manches et montré les dents : “Ça va chier des bulles”, comme disait Mamie, ou, moins vulgairement : “tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice.”
Ne sachant pas trop sur quel registre m’adresser à EUX, j’ai décidé d’être protéiforme et de parler sur plusieurs tonalités.
[ BLAM BLAM BLAM BLAM BLAM.
BLAM,
BLAM,
BLAM !]
Je me suis pris pour un acteur de théâtre : la salle de soin s’est transformée en scène, trois coups ont retenti et j’ai déclamé dans une seule tirade toutes les tonalités que j’avais sous le coude :
– intelligente : critiquez, oui, critiquez surtout, mais soyez constructifs dans vos critiques;
– lapidaire : pffff !
– mathématiquement logique : un enfant qui meurt c’est très triste (au cas où vous en douteriez), un vieux couple qui s’aime toujours c’est très beau, un enfant qui vient au monde c’est indiciblement mystérieux; hé oui !
– vulgaire : la sensiblerie ? Vous devriez essayer, c’est comme une bonne partie de nique, ça fait du bien par où ça passe (fuck off !);
Là, je suis monté sur le chariot de l’infirmière et j’ai ouvert les bras très largement en m’époumonant :
– littéraire : Monsieur, est-ce donc la tuberculose qui me fait tant souffrir ? Hélas non, mon jeune Werther, c’est la sensiblerie !
– théâtrale : Moi, monsieur, si j’avais une telle sensiblerie, il faudrait sur le champs que je me l’amputasse !
– médicale : “On va vous donner une pilule pour soigner votre sensiblerie” “Mais docteur, je suis très bien comme ça !”;
– juridique : l’article 707, alinéa 3, paragraphe 4 du code des Professions de Santé, n’interdit à aucun soignant d’être sensible au sort de ses patients;
– strauss-khanienne : la Sensiblerie ? Hummmmmmm… C’est quoi son numéro de chambre d’hôtel ?
– quantique : la sensiblerie étant à la fois de nature corpusculaire et ondulatoire, on ne peut connaître avec certitude sa position exacte au sein de ce blog;
Je me jette à genoux, devant la fenêtre, les mains croisées sur le poitrine tel un pharaon égyptien :
– spirituelle : pourquoi sommes-nous dans l’existence si ce n’est pour, chaque instant, chercher le vrai/pur/profond émerveillement d’être au monde, de sentir en soi monter le sentiment terrassant d’appartenir à quelque chose qui nous dépasse et nous relie à l’Autre ?
Personnellement, ma réponse préférée est la vulgaire (pardon Mamie) : j’adore la vulgarité ET la Poésie. La Vulgarité et la Poésie sont les deux outils qui permettent de mieux définir les choses. Par exemple dire “espèce de connard cynique” (ce que je ne me permettrai jamais !) définit très exactement la façon dont je pourrais les interpeller s’il n’y avait pas la version poétique qui dirait quelque chose du genre : “La sensiblerie ? Moi ? Oui, mais là, tel que je vous lis, je veux que vous sachiez, avec cordialité et douceur, que vous n’êtes que “petite poussière posée dans le plein paysage de ma vie intérieure.”
(((( Phrase qui, hélas, n’est pas un alexandrin…)))))
Croyez-moi : le monde des Hommes gagnerait à incroyablement plus de sensibilité.
((((( Il y a des choses étranges dans la vie : “Phrase qui, hélas, n’est pas un alexandrin” s’avère être… devinez quoi…)))))
Et, pour achever ma tirade, je serai coup sur coup poétique puis vulgaire :
– “L’autre jour au fond d’un vallon, un serpent piqua Jean Freron. Savez-vous ce qui arriva ? Ce fut le serpent qui creva.”
C’est de Voltaire.
ET :
“Celui qui te chie dans les bottes, tu lui fais nettoyer avec la langue.”
C’est de ma grand-mère.
À tous mes lecteurs qui comprennent le dessin que je construis derrière la mosaïque éparse, je voudrais dire : “À plus tard pour toujours plus d’humaines sensibleries ! Je vous kiffe grave !”
RIDEAU !